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L'EXPRESSION DU RÊVE EN FRANÇAIS |
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L'EXPRESSION DU RÊVE EN ESPAGNOL |
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L'EXPRESSION DU RÊVE EN ITALIEN |
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L'EXPRESSION DU RÊVE EN PORTUGAIS |
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L'EXPRESSION DU RÊVE EN ROUMAIN |
L'expression du rêve en français
Bien que la filiation du français au latin ne soit pas douteuse, la réalité de la langue française est infiniment plus complexe que cette évidence généalogique : la langue française est avant tout une langue qui fait voyager, dans le temps comme dans l’espace, et le champ lexical du rêve en est une belle illustration.
Le mot songe et le mot rêve sont l’un et l’autre apparus dans la langue française au XIIe siècle, dans des textes français produits en Angleterre, à une époque où le français y était à la fois langue de cour et langue de culture. Le premier signifiait alors ‘s’abandonner à la rêverie’ et le second, ‘délirer à cause d’une maladie’ (TLFi, s. v. songer et rêver.) Les deux mots ont coexisté sans rivaliser jusqu’au XVIIe siècle, époque où le verbe rêver a supplanté le verbe songer pour désigner le fait de rêver en dormant.
L’origine du premier est sans mystère : le mot songe est tiré d’un mot latin, somnium. En revanche, l’origine du second, rêve, demeure incertaine ; on rapproche parfois le verbe rêver de l’ancien verbe desver (qui s’est conservé dans certaines variétés du français de Belgique sous la forme endêver ‘être dépité’, ‘enrager’) en faisant de l’un et l’autre des dérivés d’un verbe latin supposé *exvadare, qui aurait été un substitut expressif du verbe latin evadere ‘sortir’.
Le cauchemar, quant à lui, apparait dans la langue française au XIVe siècle sous la forme cauquemare‘suffocation nocturne’, mais ne prend le sens moderne de ‘rêve effrayant’ qu’au XIXe siècle. Le mot résulte du croisement de la forme picarde d’un mot issu du latin calcare ‘presser’, ‘oppresser’ et d’un autre mot issu du néerlandais mare ‘fantôme qui engendre le cauchemar’.
Quant à l’expression châteaux en Espagne, qui désigne des projets déraisonnables ou des rêves irréalisables, elle fait son entrée dans la langue française au XIIIe siècle. C’est l’humaniste et juriste Étienne Pasquier qui en fournit une explication au XVIe siècle : durant le Moyen Âge, l’Espagne avait fait détruire tous ses châteaux pour éviter que les Maures, dont le pays subissait les assauts, ne puissent s’y installer. Toutefois, à côté de l’expression châteaux en Espagne coexistaient celles de châteaux en Brie ou encore châteaux en Asie, qui désignaient des lieux inaccessibles, tout simplement en raison de leurs défenses ou de leur éloignement, le sens ayant glissé du lieu inaccessible au projet irréalisable. L’histoire ne dit pas pourquoi ce sont les châteaux en Espagne qui se sont imposés à la langue. On les trouve mentionnés dans l’une des fables de La Fontaine, La laitière et le pot au lait :
Quel esprit ne bat la campagne ?
Qui ne fait châteaux en Espagne ?
Picrochole, Pyrrhus, la Laitière, enfin tous,
Autant les sages que les fous ?
Chacun songe en veillant, il n’est rien de plus doux
(La Fontaine, Fables, Livre VII, Fable 9)
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Cette notice a été rédigée pour ROMA·NET par Annick Englebert. |
L'expression du rêve en espagnol
De même que le mot songe, le mot sueño en espagnol provient du latin. Or, ce sont deux termes, somnus et somnium, qui convergent dans son étymologie. Somnus désigne l’acte de dormir, tandis que somniumfait référence à la fantaisie, les illusions. C’est pour cela que le terme sueño est utilisé à la fois pour parler du sommeil, de l’envie de dormir (tengo sueño), ainsi que du rêve et de l’ambition (tengo un sueño). Ce n’est pas le cas d’autres langues romanes parlées en Espagne comme le galicien, où l’on distingue entre sono (‘songe’) et sonho (‘rêve’), et le catalan, où il existe son et somni.
On peut parler d’un mal sueño, littéralement ‘mauvais rêve’, comme équivalent de cauchemar, mais le terme pesadilla reste le plus répandu. Ses origines remontent aussi au latin, et plus précisément au verbe pensare, qui en espagnol, tout comme en français, a donné naissance à deux autres verbes : pensar(‘penser’) et pesar (‘peser’). Mais ce n’est qu’à la fin du XVIe siècle qu’apparait la première mention du terme pesadilla. Il s’agit du diminutif de pesada (‘lourde’), qu’on utilisait à l’époque pour évoquer une pression, autrement dit un poids (un peso), dans la poitrine pendant le sommeil et à la fois pour désigner un rêve angoissant. Derrière cette étymologie il existe la croyance selon laquelle les cauchemars étaient causés par des démons maléfiques qui venaient s’asseoir sur le torse de la personne dormante. À ce propos, on pourrait signaler le fameux tableau de Johann Heinrich Füssli, Le cauchemar.
L’expression équivalente à châteaux en Espagne provient d’une traduction de l’expression française. Lorsqu’elle apparait pour la première fois au XIIIe siècle dans le Roman de la Rose, elle sera traduite par castillos en el aire (‘châteaux dans l’air’), et depuis lors, c’est ainsi qu’on la retrouve, notamment dans la fable de La Laitière et le pot au lait de La Fontaine.
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Cette page a été rédigée pour ROMA·NET par Alba BALLESTA MARTINEZ & Mauricio NARVAEZ SOTO. |
L'expression du rêve en italien
« io sogno una casina di cristallo
proprio nel mezzo della città,
nel folto dell’abitato. »
Aldo Palazzeschi, Una casina di cristallo
En italien, le mot qui correspond à rêve est sogno /’soɲo/ substantif masculin, du latin somnium, derivé de somnus, sonno (sommeil). Le mot remonte au XIIIe siècle. Le sogno représente l’activité mentale qui se développe pendant le sommeil ainsi que les images mêmes qui se forment pendant cette activité. Le rêve a un rôle important dans la vie des individus ; au long des siècles, dans toute civilisation, beaucoup a été écrit sur les rêves. Nous avons choisi quelques expressions courantes dans la langue italienne pour mettre en évidence son lien, d’une part, avec l’activité mentale ; de l’autre, avec tout ce qui est magnifique, splendide, exceptionnel, qui fait sognare (‘rêver’).
Par exemple, essere nel mondo dei sogni (littéralement ‘être dans le monde des rêves’) est synonyme de dormir ; quand on conduit un enfant au lit, on lui souhaite sogni d’oro (litt. ‘des rêves en or’, l’équivalent de fais de beaux rêves).
Un Italien qui rêvasse, sogna ad occhi aperti (litt. ‘rêve avec les yeux ouverts’) ; quand il veut exprimer de l’émerveillement il dira sogno o son desto ? (‘je rêve ou je suis éveillé ?’).
Les amoureux vivono un sogno d’amore (litt. ‘vivent un rêve d’amour’).
On utilise nemmeno per sogno (‘même pas en rêve’), pour renforcer une réponse négative.
Enfin, chacun a un sogno nel cassetto (litt. ‘un rêve dans le tiroir’) dont il voudrait qu’il se réalise dans sa vie, et construit des castelli in aria (litt. ‘châteaux suspendus dans l’air’, ‘châteaux en Espagne’).
Le contraire du sogno (rêve) est l’incubo, substantif masculin, du latin tardif incŭbus ‘essere che giace sul dormiente’, dérivé du thème de incubare ‘giacere sopra’. Dans la mythologie c’était un être maléfique qui apparaissait dans le sommeil et provoquait une sensation d’étouffement dans les personnes et s’unissait charnellement avec elle. Le mot remonte au XIVe siècle. Un rêve angoissant est un cauchemar ; mais un cauchemar est aussi une chose ou une personne qui provoquent de l’angoisse chez un individu. Par exemple,
Bisogna imparare a convivere con l’incubo degli esami
(Il faut apprendre à convivre avec le cauchemar des examens)
Quel professore è un incubo per i suoi studenti
(Ce professeur est un cauchemar pour ses étudiants).
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Cette page a été rédigée pour ROMA·NET par Sabina Gola. |
L'expression du rêve en portugais
Le mot portugais sonho dérive du latin somnium et son utilisation est attestée en portugais ancien, ou gallégo-portugais, depuis le XIIIe siècle, dans les textes de la lyrique troubadouresque. Il fait référence aux images ou pensées plus ou moins réalistes produites par l’esprit pendant le sommeil. Dans un sens figuré le mot exprime un désir intense ou une aspiration.
Mais les rêves qu’on fait en dormant ne sont pas toujours agréables, sonhos cor-de-rosa (littéralement ‘rêves rose, de beaux rêves’), ils peuvent être de mauvais rêves, des rêves affligeants, nous parlons alors de pesadelo (‘cauchemar’), diminutif (–elo) de pesado (‘lourd’). Le mot semble apparaitre au XVIesiècle dans les textes portugais, notamment dans Auto da Mofina Mendes, de Gil Vicente (1534). Il faut signaler que la production de Gil Vicente, considéré comme le « père » du théâtre portugais, était largement bilingue, portugais/castillan, à une époque où ce bilinguisme fut un phénomène important dans la culture portugaise. Si cette réalité était particulièrement présente dans la cour et parmi les membres des classes sociales plus aisées, elle était pourtant reconnue par la société en générale.
Pour ce qui est de rêves dans le sens de plans ou désirs infondés, utopiques, le portugais reprend l’image du château. Faire des châteaux dans l’air (fazer castelos no ar), est l’équivalent de l’expression française châteaux en Espagne, mais en portugais nous faisons aussi des châteaux de sable (castelos de areia) quand on se fait des illusions.
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Cette page a été préparée pour ROMA·NET par Ana Corga Vieira. |
L'expression du rêve en roumain
Si nous partons pour le champ lexical élargi du verbe a visa [rêver], alors on retombe toute de suite sur coșmar, reverie, viziune ou encore l’expression castele în Spania qui nous renvoie automatiquement – même pas besoin de traduction – à la langue française.
Si l’on revient au verbe de base, il est dérivé du substantif vis dont l’étymologie renvoie au lat. visum, I, n attesté au Ier siècle avant J. C. chez Cicero (Cicéron) et qui signifie ‘vision; perception imaginaire’. Le substantif vis rentre dans des mots composés (carte de vise = livre qui comprend la signification prophétique des rêves), des locutions ((loc.adj.) de vis = spécifique au rêve; (fig.) très beau, incroyable, irréel ; (loc.adv.) ca prin vis = vaguement, confusément) ou des expressions (a-și vedea visul cu ochii = réaliser son désir le plus ardent, réaliser tout ce que l’on s’est proposé de réaliser ; nici prin vis = on dit pour nier complètement le fait d’avoir pensé ou fait quelque chose ; Vise plăcute = formule utilisée le soir avant de dormir).
Pour le verbe a visa les expressions idiomatiques sont complétées par des parémiologiques :
Unde te visezi? = où crois-tu que tu es ?;
Când nici nu visezi sau când cu gândul nu visezi = d’une manière inattendue ;
a visa cai (verzi) pe pereți [revêr les cheveux verts sur les mûrs] ;
a visa deștept = avoir des hallucinations ;
Vrabia mălai visează = chacun pense à ce qu’on aime le plus.
Un quatrain intégre ce dernier proverbe :
Rosturi noi se întrupează,/ Moşule Adame:/ Vrabia mălai visează,/ Corbu, epigrame .
Pour Mihai Eminescu, le poète national de la Roumanie, la vie est le rêve de la mort :
Când știi ca visu-acesta cu moarte se sfârșește,
Că-n urmă-ți rămân toate astfel cum sunt, de dregi
Oricât ai drege-n lume -- atunci te obosește
Eterna alergare... ș-un gând te-ademenește:
«Că vis al morții-eterne e viața lumii-ntregi» (Împărat și proletar)
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Cette page a été rédigée pour ROMA·NET par Alice Toma. |
Nos cartes panromanes sont de simples aides à la visualisation. Elles ne prétendent en aucun cas rendre compte finement de la distribution des langues romanes en Europe.
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La carte RÊVER a été réalisée pour ROMA·NET par Annick Englebert. |