Les Belges et la belgitude

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L'autodérision à la belge

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Réducteurs mais vivaces, les stéréotypes sont des images mentales qui visent à étendre à un groupe entier de personnes une particularité individuelle – physique, morale ou comportementale – en faisant abstraction de la diversité et de la complexité des individus qui constituent le groupe. 
Appliqués à des groupes ethniques – nationaux, régionaux… –, les stéréotypes ont pu, par le passé, contribuer à la construction des identités nationales, notamment dans des situations d’acquisition de l’indépendance territoriale, en créant un sentiment d’appartenance à la nation : peu importait alors la part de vérité ou de fausseté que véhiculaient ces images, il s’agissait de légitimer, a posteriori, la nation nouvellement créée. Mais les stéréotypes nationaux sont aussi à l’origine des préjugés, souvent négatifs, que nous pouvons avoir à l’égard des autres nations et qu’il nous appartient de remettre en question :

« Les Français sont chauvins. »
« Les Espagnols sont fiers. » 
« Les Italiens parlent avec les mains. » 
« Les Catalans sont radins. » 
« Les Roumains sont profiteurs. » 
« Les Portugais sont des mangeurs de sardines. »

Les Belges n’échappent pas aux stéréotypes nationaux, au point même que Maurice Kunel, poète et journaliste, affirmait que « Le Belge est à lui seul une panoplie de stéréotypes ». 

Parmi les différentes caractéristiques qu’on leur prête, les Belges ont la réputation, largement répandue, d’être capables en toute circonstance de se moquer d’eux-mêmes. 
Cette capacité d’autodérision qu’on prête aux Belges, et que les Belges se prêtent parfois avec complaisance, est relativement récente, puisqu’elle s’ancre dans un pamphlet inachevé du poète français Charles Baudelaire, La Belgique déshabillée, publié partiellement en 1887, dans lequel les Belges sont systématiquement dénigrés, ainsi que dans une série de poèmes satiriques du même Baudelaire, regroupés sous le titre d’Amœnitates Belgicæ – littéralement, et ironiquement, ‘délices belges’. Aigri et malade, Baudelaire s’y vengeait de la tiédeur de l’accueil que lui avait réservé la toute jeune Belgique, et plus spécialement Bruxelles, qui s’était pourtant quelques décennies auparavant montrée chaleureuse envers Victor Hugo.
Face aux portraits peu flatteurs que Baudelaire traçait d’eux, les Belges de son époque ont réagi par autodéfense, devançant les moqueries des autres en se riant d’eux-mêmes, une attitude que Jacques Sojcher, poète et philosophe, mettait en relation avec un sentiment national assez faible, le Belge ne se considérant pas, selon lui, comme « faisant partie d’une grande nation, au contraire du Français ».

« Le problème se pose lorsque cette attitude se mue en qualité innée, en don, et qu’elle est généralisée à une nationalité, comme par l’effet d’une association automatique qui a tout du stéréotype », souligne le critique et écrivain Frédéric Saenen. 
Car ce mécanisme d’autodéfense face à des voisins dont ils étaient devenus, depuis Baudelaire, les souffre-douleurs préférés, les Belges l’ont bel et bien transformé en une caractéristique, assumée par les uns, contestée, voire rejetée par les autres, de la « belgitude », cet ensemble de valeurs culturelles qui constituerait l’« essence » même du Belge.

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Références bibliographiques

Baudelaire Charles, Œuvres complètes de Charles Baudelaire, Juvenilia, Œuvres posthumes, Reliquiæ. III, Paris, Louis Conard, 1952, en ligne : https://fr.wikisource.org/wiki/Livre:Baudelaire_-_Œuvres_posthumes,_III,_Conard,_1952.djvu 
Kunel Maurice, Baudelaire en Belgique, Paris/Mons, Édition de la Société nouvelle, 1912, plus spécialement, p. 37-38.
Roy Alain, « Autodérision et identité » L’Inconvénient, 2019/78, p. 3–5.
Saenen Frédéric, « Pour en finir avec l’autodérision à la belge », La Revue nouvelle, 2016/7, p. 16-18.
id., « Rire des Belges, avec les Belges, malgré les Belges, contre les Belges… Retour sur la prétendue faculté autodérisionnelle d’un peuple méconnu d’Europe occidentale », L’Inconvénient, 2019/78, p. 20–25.
***, « L’autodérision », Le Soir, 20/07/2013, en ligne : https://www.lesoir.be/art/284768/article/actualite/belgique/2013-07-19/l-autoderision
Références des photos et images
Ceci n’est pas un pays : https://www.rtbf.be/article/quand-les-canadiens-se-moquent-de-la-belgique-9440655
La théorie, la pratique, en Belgique : https://ambition2000386684381.wordpress.com/2010/09/30/un-peu-dhumour-a-la-belge/
Les routes belges : https://www.association-iceo.fr/actualite-par-thematiques/humour/n-265-humour-du-belge-et-du-bon/
Le chat © Philippe Geluck

Le calendrier des Diables rouges © RBFA

Cette page a été préparée par Annick Englebert dans le cadre d'une formation à l'intercompréhension dans les langues romanes.
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