LATINA LINGUA

LA

Salut, je suis Cæsar. Je représente la langue latine.

Je ne vais pas essayer de vous convaincre que je suis un rescapé de la Rome antique, je perdrais toute crédibilité dans ce site. Je suis juste le rejeton d’une longue lignée de latinistes ; je ne dirais pas que j’ai appris le latin au berceau, mais je suis fan de latin quand même. Par exemple, est-ce que vous savez que dans l’écriture latine, il n’y avait que des majuscules ? On devrait donc écrire mon prénom CÆSAR si on voulait faire comme les Romains. CÆSAR, c’est tout de suite plus imposant que Cæsar, non ? D’ailleurs, Cæsar, c’était le nom qu’on donnait aux empereurs.

Mon prénom Cæsar, je ne sais pas au juste comment on le prononçait en latin dans la Rome antique. Ou plutôt, je sais, mais c’est sans certitude, parce que plus personne aujourd’hui ne peut prétendre savoir comment on prononçait le latin du temps de Jules César ni des autres Césars de l’histoire romaine. En revanche, on peut reconstruire par l’esprit la prononciation du latin en s’appuyant sur celle de ses langues-filles. Les langues-filles du latin, vous savez bien : les langues romanes. Bien sûr, vous savez, sinon vous n’auriez pas franchi la porte de ce site.

Donc, on suppose que ceux qui saluaient mes prédécesseurs leur disaient /kaesar/. Avec en /e/ très bref, parce que qu’il faisait, avec /a/, partie d’une diphtongue. Avec un /s/ sourd (comme dans « saucisson »), parce que le /z/ sonore semble bien n’avoir pas existé en latin. Et avec un /r/ roulé, si on en juge par la manière dont on prononce le -r- dans les langues romanes.

Les langues romanes, justement, parlons-en. Qu’est devenu mon impérial prénom dans les différentes langues-filles du latin ?

À l’écrit, je suis César pour les Portugais, les hispanophones et les francophones, mais je suis Cezar pour les Brésiliens et pour les Roumains. Maintenant, si vous voulez que je donne les prononciations correspondantes, vous allez voir que pour deux manières d’écrire César / Cezar, on a des correspondances phonétiques variées, parce que, même si toutes les langues romanes ont emprunté son alphabet au latin, elles n’ont pas toutes établi les mêmes correspondances entre les lettres et les sons. Voyez par vous-mêmes : César donne /sizaɾ/ en portugais, /sesar/ en espagnol et /sezaʁ/ en français ; Cezar donne /sizaɾ/ en brésilien et /sezar/ en roumain.

Cela veut dire que dans toutes les langues romanes, mon /k/ s’est palatalisé et que ma diphtongue /ae/ s’est réduite, le plus souvent en /e/, ou en /i/ pour le portugais. Mon /s/ s’est sonorisé en /z/ dans toutes les langues romanes sauf l’espagnol. Et mon /r/ final n’a cessé d’être roulé qu’en français (enfin, dans la plupart des variétés du français, parce qu’il en existe de plus rocailleuses que d’autres).

Et en italien, me direz-vous ? Vous pensiez que j’avais oublié l’italien, n’est-ce pas ? Eh bien non, mais cette langue romane qui est réputée être restée la plus proche du latin est celle qui, dans le cas de mon prénom, s’en est le plus écartée. Pour les Italiens, je suis Cesare /ʧezare/. L’italien a palatalisé mon /k/ et réduit ma diphtongue comme les autres langues romanes ; il a sonorisé mon /s/ comme le portugais, le français et le roumain. Seulement comme en italien on n’aime pas avoir un -r à la fin d’un mot, l’italien m’a doté d’un -e final… Heureusement, grâce à mon initiale toujours en majuscule, il n’y a pas de risque qu’un potache confonde mon prénom avec un infinitif ! Vous voyez, l’opposition entre les majuscules et les minuscules, ça a du bon !

revue roma blanc 120 Cette page a été rédigée pour ROMA·NET par Annick Englebert.
ULB multigram Label