La variation géographique du roumain

Pour la langue roumaine, le rapport entre la géographie et la langue peut être conçu de deux manières différentes :

  • dans un premier temps, de la région vers la langue – dans une certaine région on développe une variété de langue avec des propriétés spécifiques et,
  • dans un deuxième temps, de la langue vers les régions, par le biais de la migration de la population – une certaine langue est parlée dans d'autre pays, dans d'autres régions après avoir été acquise dans le pays d'origine, ou pour la deuxième génération, après avoir été acquise dans la famille qui parle la langue du pays d'origine.

Si l'on prend le roumain, pour établir les différentes variétés régionales, le facteur géographique est secondé par le facteur historique. Ainsi, les variétés issues du protoroumain ou du roumain commun entre le Xe et le XIIIe siècle sont des dialectes et les variantes à l'intérieur de l'ancien territoire de la Dacie, pour lesquels les premières attestations datent du XVIe siècle sont des régiolectes / graiuri.
L'histoire de la langue roumaine littéraire (standard) met en évidence sa base dialectale. L'unification de la langue sous l'empire de la standardisation met en danger sa richesse en variétés. De nos jours, on enregistre une fragilisation des langues romanes, en générale, face à l'anglais. De ce fait, des politiques linguistiques pour maintenir la variété des langues sont mise en place. On encourage l'intercompréhension.
Le compartiment de la langue le plus ouvert aux variations est le lexique, les caractéristiques phonétiques sont importantes souvent dans les différences des régiolectes. On reprend l'exemple du munténien (dialecte du sud de la Roumanie) tout en notant aussi certaines caractéristiques grammaticales.

1. Répartition par pays[1]

Le nombre total de locuteurs du roumain dans le monde est estimé à 28 millions par l'Union latine, alors que l'estimation des ethnologues est de 23,6 millions. Sur les 28 millions, le nombre de ceux dont c'est la langue maternelle serait de 24 millions. Parmi les locuteurs de roumain sont également à compter ceux de la langue appelée moldave dans l'ancienne Union Soviétique, ainsi qu'au moins une partie des locuteurs appelés Valaques en Serbie et en Bulgarie, étant donné que cet ethnonyme est utilisé dans ces pays non seulement pour dénommer les Aroumains, mais aussi les Roumains de la vallée du Timok.
À noter aussi que le nombre de locuteurs de roumain émigrés n'apparaît que dans les données statistiques de certains pays, dans la plupart des pays étant pris en compte les citoyens de Roumanie et de la République de Moldavie. On ne sait pas combien de ceux-ci parlent roumain, ni combien sont établis définitivement dans ces pays et combien temporairement, c'est-à-dire on ne peut savoir si ces derniers sont ou non compris aussi bien dans les statistiques de Roumanie et de Moldavie, que dans celles des pays d'accueil (en 2015, en Belgique, on dénombrait 65 768 citoyens originaires de Roumanie).

2. Dialectes[2]

Les quatre dialectes de la langue roumaine sont parlés dans les régions suivantes :

  • Daco-roman – dans la Dacie historique ;
  • Aroumain – dans le sud de la Péninsule Balkanique (Grèce, Macédoine, Albanie du Sud, Serbie et Bulgarie, rarement en Roumanie) ;
  • Meglenite – dans le sud de la Bulgarie et le nord de la Grèce, sur la vallée de la rivière Vardar, dans la région appelée Meglenia ; les locuteurs de ce dialecte sont les descendants des Romains de l'Empire romain-bulgare ;
  • Istrien – parlé aujourd'hui dans la péninsule d'Istrie en Croatie.[3]

L'aroumain (dit aussi macédo-roumain en Roumanie), en aroumain limba armãneascã ou armãnã (aroumain), désigné aussi par l'adverbe armãneashte/armãneshce, est une langue romane parlée par les Aroumains, faisant partie du diasystème roman de l'Est. L'aroumain est considéré par la plupart des linguistes comme une langue à part, comme le daco-roumain (qu'on appelle communément le roumain), le mégléno-roumain et l'istro-roumain. Toutefois, pour certains linguistes roumains, il s'agirait d'un dialecte du roumain. La seule certitude sur laquelle tous les linguistes et les toponymistes s'accordent, est que ces langues, individualisés à partir du Xe siècle, proviennent d'un tronc commun roman appelé proto-roumain, évolué du latin vulgaire parlé dans la péninsule des Balkans et le bassin du Bas-Danube.

3. Régiolectes[4] du daco-roumain (qu'on appelle communément le roumain)

La configuration dialectale du roumain, c'est-à-dire le nombre de régiolectes, leur classification et leur hiérarchisation, a toujours fait l'objet de débat. Selon certains linguistes il n'y a que deux groupes régionaux, celui du Nord ou moldave, et celui du Sud ou munténien. D'après d'autres auteurs il n'existe que trois groupes régionaux : moldave, munténien et banatéen. D'autres chercheurs en prennent en compte quatre : moldave, munténien, banatéen et celui de Crișana. Pour d'autres encore il y en a cinq : moldave, munténien, banatéen, celui de Crișana et maramuréchois. À ces variantes, certains linguistes ajoutent d'autres unités de divers degrés, certains parlers appelés de transition, mais dont ils soutiennent l'autonomie. Certains considèrent comme tels les olténiens, d'autres – les parlers du pays d'Oaș. Avec la prise en compte de plusieurs parlers transylvains, le plus grand nombre de régiolectes s'élève à 20.
Les régiolectes du roumain sont parlés par les populations majoritaires de la Roumanie, de la République de Moldavie et de la Transnistrie, par des minorités nationales dans les autres pays voisins de la Roumanie, ainsi que par des personnes émigrées de tous ces pays.
L'intercompréhension entre les locuteurs du roumain est pratiquement totale, malgré les différences entre ses variantes régionales, cette langue étant beaucoup plus unitaire que l'allemand, par exemple.
Les groupes de parlers roumains : en rouge – septentrionaux (le banatéen, le parler de Crișana, le maramuréchois, le moldave), en bleu – méridionaux (l'olténien, le munténien, le dobrogéen).[5]

4. Quelques exemples

4.1. Exemple transrégional : burtă [ventre]

[6]

4.2. Exemple régional : le munétien

Les parlers munténiens sont ceux de Munténie mais aussi de la plus grande partie de la Dobroudja, des Roumains vivant dans le nord de la Bulgarie, ainsi que dans les județe transylvains de Sibiu et de Brașov.

Phénomène Exemple dialectal Sens dans la langue standard Correspondant dans la langue standard Traduction
mots à sens spécifiques ginere gendre mire marié (au moment du mariage)
mots d'origine bulgare ciușcă   ardei iute piment fort
mots d'origine turque peșchir
perdea

rideau
prosop
adăpost pentru vite
serviette (pour s'essuyer)
abri pour le bétail
mots d'origine grecque dârmon   ciur tamis

 

 


[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Répartition_géographique_du_roumain

[2] http://abcjuridic.ro/limba-romana-limbile-romanice-dialectele-romanesti/

[3] Carte : https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/6/69/Dias.Roman-Est.png

[4] Un régiolecte est une forme de la langue propre à une région.

[5] Carte : https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/b/b9/Romania_Graiuri.jpg

[6] https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/7/7b/BURTA.JPG

revue roma blanc 120 Cette page a été rédigée pour ROMA·NET par Alice Toma.

La structure du lexique roumain

Une statistique du XXe siècle concernant la composition du lexique roumain selon l'étymologie des mots donne les pourcentages suivants :

  • 43 % d'emprunts aux langues romanes occidentales (dont 38,40 % au français) ;
  • 20 % de mots hérités du latin ;
  • 11,5 % d'emprunts aux langues slaves (vieux-slave, bulgare, serbe, ukrainien, russe) ;
  • 3,60 % d'emprunts au turc ;
  • 2,40 % d'emprunts au grec ;
  • 2,17 % d'emprunts au hongrois ;
  • 2 % d'emprunts à l'allemand.

L'histoire du roumain comporte trois étapes principales :

  • du IIe au IXe siècle, depuis les guerres romanes jusqu'à l'apparition des populations d'origine slave sur le territoire de l'ancienne Dacie ;
  • du IXe au XIXe siècle, où l'on assiste à la formation de la langue roumaine littéraire ;
  • du XIXe siècle à nos jours.

Après la conquête de la Dacie par Trajan, le latin vulgaire devient la principale langue parlée sur le territoire de l'ancienne Dacie ; le substrat de la langue roumaine, la langue géto-dace, a une contribution réduite à la formation de la langue roumaine. La liste des mots d'origine dace dans la langue moderne tourne autour de 50 mots, tout en variant d'un chercheur à l'autre. On peut noter quelques exemples :

brad 'sapin', brânză 'fromage', buză 'lèvre'

Le lexique roumain de base provient du latin :

  • les noms des parties du corps

cap 'tête', deget 'doigt', mână 'main'

  • des jours de la semaine

luni, marţi, miercuri, joi, vineri, sâmbătă, duminică 

  • ainsi que

câine 'chien', pâine 'pain', apă 'eau', a mânca 'manger', a veni 'venir'…

Sur cette base du roumain viennent s'ajouter diverses influences, dont la plus importante est celle du slave ancien. Beaucoup de mots proviennent de cette langue :

plug 'charrue', lopată 'pelle', brazdă 'sillon'…

L'influence slave se poursuit par l'église, la religion des Roumains étant le christianisme orthodoxe et la langue de l'église étant le slavon. À l'influence slave s'ajoutent les emprunts grecs, hongrois, turcs et allemands.
La troisième étape dans le développement de la langue roumaine est une étape de modernisation. Au XIXe siècle, la société roumaine commence à se moderniser sous l'influence de l'Europe de l'Ouest, phénomène dont l'un des corollaires est l'emprunt massif de mots, qui détermine une relatinisation du roumain, soit à partir du latin savant, soit à partir d'une langue romanes, surtout le français ou parfois l'italien. Du latin on a des exemples d'emprunts tels que : 

fabulă 'fable', familie 'famille', literă 'lettre (caractère)', rege 'roi', tezaur 'trésor'

Parfois, on ne peut pas établir de laquelle de ces langues provient tel ou tel mot. Par exemple, belicos peut avoir comme étymon lat. bellicosus, ital. bellicoso ou fr. belliqueux. On parle souvent de l'étymologie multiple pour désigner les mots roumains qui ont deux ou plusieurs langues-sources potentielles.
Il y a aussi des cas où la langue a adopté, à côté d'un mot hérité, un dérivé formé dans une langue romane à partir de l'étymon du mot de base :

lat. aqua > roumain apă « eau » – lat. aquaticus / français « aquatique » > roum. acvatic ;
lat. frigus > roum. frig « froid » – lat. frigidus / fr. « frigide » > roum. frigid ;
lat. tacere > roum. a tăcea « (se) taire » – lat. tacitus / fr. « tacite » > roum. tacite.

De nos jours, les mots nouveaux viennent surtout de l'anglais. Leur degré divers d'intégration prouve qu'ils sont entrés plus ou moins récemment dans la langue. Les mots anglais empruntés à une époque plus éloignée se prononcent et s'écrivent à la roumaine : 

blugi 'blue-jeans', gem 'confiture', interviu 'interview', lider 'dirigeant', meci 'match'

Les emprunts plus récents se prononcent et s'écrivent comme dans la langue d'origine

cow-boy, fair-play, jazz, hobby, management, manager, marketing, mass-media, week-end…

mais on leur attribue un genre, un article défini et des désinences selon les règles du roumain :

managerul 'le directeur', cowboy-ului 'au/du cow-boy', mass-mediei 'aux/des médias'

revue roma blanc 120 Cette page a été rédigée pour ROMA·NET par Alice Toma.
ULB multigram Label