Le Tartuffe ou l’Imposteur (Molière)
Le masque, objet derrière lequel on se cache, est aussi un symbole d’hypocrisie. Il l’est doublement dans cette scène du Tartuffe de Molière (Acte III, scène 2), où les gestes du comédiens sont traditionnellement en contradiction flagrante avec le texte qu’il dit : l’acteur, tout en enjoignant à Dorine « Couvrez ce sein, que je ne saurais voir » et en protégeant ses yeux de sa main, écarte bien les doigts pour ne pas perdre une miette du spectacle dont il prétend qu’il offense ses yeux !
Tartuffe, Laurent, Dorine.
Tartuffe, parlant bas à son valet, qui est dans la maison, dès qu’il aperçoit Dorine.
Laurent, serrez ma haire avec ma discipline,
Et priez que toujours le ciel vous illumine.
Si l’on vient pour me voir, je vais aux prisonniers
Des aumônes que j’ai, partager les deniers.
Dorine, à part.
Que d’affectation et de forfanterie !
Tartuffe
Que voulez-vous ?
Dorine
Vous dire…
Tartuffe, tirant un mouchoir de sa poche.
Ah ! mon Dieu ! je vous prie,
Avant que de parler, prenez-moi ce mouchoir.
Dorine
Comment !
Tartuffe
Couvrez ce sein que je ne saurais voir.
Par de pareils objets les âmes sont blessées,
Et cela fait venir de coupables pensées.
Dorine
Vous êtes donc bien tendre à la tentation ;
Et la chair sur vos sens fait grande impression !
Certes je ne sais pas quelle chaleur vous monte :
Mais à convoiter, moi, je ne suis point si prompte :
Et je vous verrais nu du haut jusques en bas,
Que toute votre peau ne me tenterait pas.
Tartuffe
Mettez dans vos discours un peu de modestie,
Ou je vais sur-le-champ vous quitter la partie.
Dorine
Non, non, c’est moi qui vais vous laisser en repos,
Et je n’ai seulement qu’à vous dire deux mots.
Madame va venir dans cette salle basse,
Et d’un mot d’entretien vous demande la grâce.
Tartuffe
Hélas ! très volontiers.
Dorine, à part.
Comme il se radoucit !
Ma foi, je suis toujours pour ce que j’en ai dit.
Tartuffe
Viendra-t-elle bientôt ?
Dorine
Je l’entends, ce me semble.
Oui, c’est elle en personne, et je vous laisse ensemble.
Cette page a été rédigée pour ROMA·NET par Annick Englebert. |