La structure du lexique français

1. Fonds latin

La plupart des mots du français proviennent du latin vulgaire

LC = equum ~ LV = caballum > cheval
LC = potare ~ LV = bibere > boire
LC = ferre       ~ LV = portare > porter
LC = edere ~ LV = manducare > manger…

Dans leur passage du latin vers le français, les mots ont subi l'usure naturelle du temps :

debet > deft > deit > doit
spatham > espedhe > espee > épée

Il en va de même pour les mots empruntés au celtique (langue des Gaulois) ou au francique (langue des Francs) :

celt. cerevisia > cervoise
franc. werra > guerre

2. Fonds celtique

Les Gaulois étaient installés dans la région qui deviendra celle de la langue française avant les Romains ; si c'est le latin des Romains qui s'est imposé au bout de cinq siècles de latinisation, il subsiste dans ce latin de nombreux mots d'origine celtique. Ces résidus linguistiques sont appelés substrat (traces de la langue du colonisé dans la langue du colonisateur). Le substrat celtique se manifeste notamment :

  • dans le lexique rural ou domestique

sillon, glaner, charrue… ; boue, galet, talus…
bercer

  • dans le domaine de la faune et de la flore

mouton, alouette…
bruyère, chêne…

  • dans le domaine des arts et techniques

cervoise, brasserie…
charpente, jante…

  • dans le domaine de l'habillement

chemise, AF braies

Certaines mesures gauloises se sont de même conservées durablement

lieue, arpent

Le lexique français actuel compte 71 mots d'origine celtique ; le lexique de la langue du Moyen Âge en comptait bien davantage ― au fil du temps, l'évolution de la société a en effet progressivement conduit à abandonner certains mots qui renvoyaient à des réalités dépassées pour ouvrir le lexique aux innovations, et les mots d'origine celtique ont été fort touchés dans ce processus.

3. Fonds francique

Après la romanisation et la latinisation de la Gaule, nos régions ont été envahies par les Francs qui s'y sont installés. Si les Francs ont abandonné leur langue, le celtique, et adopté le latin des Gallo-romains (c'est-à-dire des Gaulois romanisés), s'introduisirent dans ce latin de nombreux mots propres à leur langue. Ces résidus linguistiques sont appelés superstrat (traces de la langue du colonisateur dans la langue du colonisé).
Les domaines du lexique français les plus touchés par le francique sont :

  • la guerre

balafre, éperon, guerre, hache…

  • le féodalisme

fief, gage

  • la construction

auberge, loge, salle

  • la nourriture

flan, gâteau, gaufre

  • le corps humain

crampe, hanche, ride

  • les sentiments

émoi, haine, honte, orgueil

  • les adjectifs de couleurs

bleu, gris, brun, blanc

  • les adverbes de quantité

guère, trop…

  • ainsi que les suffixes –ard et –aud

Bernard, vieillard, chauffard, trouillard…
finaud, nigaud…

La plupart de ces champs sémantiques sont très présents dans les chansons de geste (comme la Chanson de Roland) qui regorgent de mots d'origine francique :

garnemens (de *warnjan, ‘protéger', ‘prendre garde' → ‘défense', ‘équipement')
sor (de *saur ‘roux')
eschec (de *schâch ‘butin')

4. Les emprunts

Les Vikings, qui envahirent nos régions aux IXe-Xe siècles et fondèrent la Normandie (littéralement pays des Northman ‘hommes du Nord') laissèrent comme les Francs quelques traces de leur langue, le norrois, dans la langue française

bidon, crabe, duvet, flâner, griller, homard…

De même que le commerce avec les Anglais, proches voisins :

nort, sut, est, west

ou un peu plus tard le contact, par le biais des Croisades, avec les Musulmans permit l'introduction de mots d'origine arabe

sucre, algèbre, aubergine, estragon, chiffre, coton…

4.1. Les emprunts aux langues anciennes

À la fin du Moyen-Âge, de nombreux mots appartenant au latin et au grec sont introduits dans la langue française par la voie, savante, de la traduction du Nouveau Testament du grec vers le français et de la Vulgate du latin vers le français :

grec : ange, église, paradis, psautier, parler
latin : abominable, convertir, déluge…

Le développement des sciences et techniques fit naitre de nouveaux besoins lexicaux, qu'on alla également puiser dans les langues anciennes :

améthyste, calendrier, équinoxe, occident, solstice…

La philosophie y puisa

cause, forme, idée, multiplier, substance…

L'Église elle-même y puisa

autorité, discipline, pénitence, quotidien…

De nombreux termes empruntés à cette époque sont sortis de la langue :

intellectif , médicinable, suppécliter…

Seuls quelques-uns se sont conservés jusqu'à nos jours :

déduction, altercation, incarcération, prémisse…

Les mots d'origine latine introduits dans la langue par cette voie savante vinrent parfois concurrencer des mots de même origine qui avaient connu l'usure naturelle du temps, d'où la présence de nombreux doublons, dont nous ne soupçonnons pas toujours aujourd'hui l'origine commune :

rigidum > raide/rigide
integrum > entier/intègre
liberare > livrer/libérer
fabricam > forge/fabrique

4.2. Les emprunts aux langues vivantes

Au XVIe siècle, la découverte du Nouveau Monde (Amérique), la découverte de la route maritime des Indes contribuèrent en outre à faire entrer dans la langue française des mots d'origine espagnole (300 à peu près), et quelques mots d'origine portugaise (une cinquantaine) et d'origine anglaise ― rapportés par les navigateurs espagnols, portugais ou anglais des terres nouvelles découvertes :

esp. castagnettes, chocolat, cigare, colonel, tomate, vanille…
port. balise, caravelle, albatros, pintade, fétiche, marabout…

Mais ni l'espagnol ni le portugais ni l'anglais n'exercèrent à l'époque sur le français une influence aussi grande que celle de l'italien. Le prestige de l'Italie est alors tel, dans l'Europe entière, que des milliers de mots italiens s'introduisent en français, dans tous les domaines :

  • la guerre

canon, cavalcade, cartouche…

  • la finance

banqueroute, crédit, trafic…

  • les mœurs

courtisan, disgrâce, caresse, escapade…

  • la musique

fugue, intermède, mandoline, opéra, piano, sérénade, violoncelle…

  • la peinture

coloris, fresque, gouache, miniature, profil…

  • l'architecture

belvédère, appartement, balcon, rotonde…

  • la mode

caleçon, costume, ombrelle, perle, perruque, plastron, pantalon…

  • l'alimentation

citrouille, gamelle, riz, sorbet, vermicelle…

Cette influence italienne sur la langue française dépasse et dépassera en importance toutes les influences étrangères qui ont agi et agiront sur le français jusqu'au milieu du XXe siècle.
Au milieu du XVIIIe siècle débute une longue période d'anglomanie, qui marque profondément la langue française. Les emprunts à la langue anglaise prennent des formes variées :

  • certains des emprunts se font tels quels

budget, cottage, jury, motion

  • d'autres font l'objet d'une naturalisation

contredanse < country-dance
paquebot < packet-boat
rosbif < roastbeef
redingote < riding-coat

  • le français calque également des constructions anglaises

franc-maçon ~ free mason

Au XIXe siècle, la langue française se charge d'encyclopédisme : les découvertes et les inventions dans tous les domaines se succèdent et génèrent le besoin de recours à de nouveaux mots pour désigner des réalités nouvelles. La plupart des mots nouveaux qui intègrent le français sont encore puisés dans la langue anglaise ; le domaine des chemins de fer en est un bel exemple :

wagon, rail, tunnel

de même que le domaine des sports (le mot sport lui-même vient de l'anglais) :

football, rugby, fair-play…

L'engouement pour les mots anglais est tel que la langue française va jusqu'à créer de faux anglicismes :

recordman (là où l'anglais a record holder)
rugbyman (là où l'anglais a rugby player)
shake-hand (là où l'anglais a handshake)
smoking (là où l'anglais a dinner jacket)

Jusqu'au XVIIe siècle, l'influence anglaise sur le français a été insignifiante : 8 mots au XIIe siècle, 2 au XIIIe, 11 au XIVe, 6 au XVe, 14 au XVIe, puis 67 au XVIIe, 134 au XVIIIe, 377 au XIXe et… 2150 au XXe siècle, d'après le recensement des lexicographes (auteurs de dictionnaires).
Les emprunts à l'anglais d'outre Manche pénètrent massivement dans la langue française dès la fin du XIXe siècle, et vers le milieu du XXe siècle, les États-Unis prennent le relais de la Grande-Bretagne en apportant au français nombre de termes en relation avec le cinéma, les produits industriels, le commerce, le sport, et d'une manière générale tout ce qui touche aux sciences et à la technologie. On recense dans les dictionnaires français actuels plus de 2 500 mots empruntés à l'anglais. Cette liste pourrait considérablement s'allonger si on prenait en compte certains lexiques spécialisés (notamment tout ce qui touche à l'Internet).

revue roma blanc 120 Cette page a été rédigée pour ROMA·NET par Annick Englebert.
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