L'expression du conflit en français

Le conflit dans le théâtre

« Il faut aller au théâtre comme on va à un match de football, de boxe, de tennis. »

Ainsi s'exprimait Ionesco, homme de théâtre, voulant dire par là que le théâtre joue de toutes les tensions qui déchirent les hommes.
Le théâtre met en scène des types de conflits qui varient selon les époques – le héros du théâtre grec est déchiré entre sa volonté et son destin, le héros du théâtre classique français est partagé entre la violence de ses désirs personnels et son sens du devoir…
Le dialogue est la forme d'expression privilégiée du conflit ; l'échange peut alors opposer de longues tirades, ou au contraire de courtes répliques.
Ainsi, dans Cyrano de Bergerac, d'Edmond Rostand, ce qui prélude à la célèbre « tirade du nez » (Acte I, scène 4) est un échange verbal d'une grande vivacité :

Cyrano.
        Tournez les talons, maintenant.

Le facheux.
                   Mais...

Cyrano.
                   Tournez !
– Ou dites-moi pourquoi vous regardez mon nez.

Le facheux, ahuri.
Je...

Cyrano, marchant sur lui.
         Qu'a-t-il d'étonnant ?

Le facheux, reculant.
         Votre Grâce se trompe...

Cyrano.
Est-il mol et ballant, monsieur, comme une trompe ? ...

Le facheux, même jeu.
Je n'ai pas...

Cyrano.
         Ou crochu comme un bec de hibou ?

Le facheux.
Je...

Cyrano.
         Y distingue-t-on une verrue au bout ?

Le facheux.
Mais...

Cyrano.
         Ou si quelque mouche, à pas lents, s'y promène ?
Qu'a-t-il d'hétéroclite ?

Le facheux.
         Oh ! ...

Cyrano.
                   Est-ce un phénomène ?

Le facheux.
Mais d'y porter les yeux, j'avais su me garder !

Cyrano.
Et pourquoi, s'il vous plaît, ne pas le regarder ?

Le facheux.
J'avais...

Cyrano.
         Il vous dégoûte alors ?

Le facheux.
                   Monsieur...

Cyrano.
                            Malsaine
Vous semble sa couleur ?

Le facheux.
         Monsieur !

Cyrano.
                   Sa forme, obscène ?

Le facheux.
Mais du tout ! ...

Cyrano.
         Pourquoi donc prendre un air dénigrant ?
– Peut-être que monsieur le trouve un peu trop grand ?

Le facheux, balbutiant.
Je le trouve petit, tout petit, minuscule !

Cyrano.
Hein ? Comment ? m'accuser d'un pareil ridicule ?
Petit, mon nez ? Holà !

Le facheux.
         Ciel !

Cyrano.
                   Énorme, mon nez !
– Vil camus, sot camard, tête plate, apprenez
Que je m'enorgueillis d'un pareil appendice,
Attendu qu'un grand nez est proprement l'indice
D'un homme affable, bon, courtois, spirituel,
Libéral, courageux, tel que je suis, et tel
Qu'il vous est interdit à jamais de vous croire,
Déplorable maraud ! car la face sans gloire
Que va chercher ma main en haut de votre col,
Est aussi dénuée...
(Il le soufflette.)

Le facheux.
         Aï !

Cyrano.
De fierté, d'envol,
De lyrisme, de pittoresque, d'étincelle,
De somptuosité, de Nez enfin, que celle...
(Il le retourne par les épaules, joignant le geste à la parole.)
Que va chercher ma botte au bas de votre dos !

Le facheux, se sauvant.
Au secours ! À la garde !

Cyrano.
         Avis donc aux badauds
Qui trouveraient plaisant mon milieu de visage,
Et si le plaisantin est noble, mon usage
Est de lui mettre, avant de le laisser s'enfuir,
Par devant, et plus haut, du fer, et non du cuir !

revue roma blanc 120 Cette page a été rédigée pour ROMA·NET par Annick Englebert.
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