L'heritage du latin dans le lexique italien est très varié et correspond à un total de 35 196 mots à partir d'avant le IXe siècle et jusqu'au XXe[1].
Il comprend, d'une part, les mots hérités directement du latin dans le passage du latin à l'italien, les « lessemi patrimoniali », qui viennent du latin parlé et qui rapprochent l'italien des autres langues romanes. Il s'agit surtout de mots qui concernent la vie quotidienne ainsi que la culture materielle : les mots grammaticaux (articles, prépositions, conjonctions, adverbes), les verbes, les noms et les adjectifs plus fréquents, les chiffres, les noms de parentés, des parties du corps et des phénomènes naturels
HOMO > uomo 'homme'
DOMINAM > donna 'femme'
CIVITATEM > città 'ville'
On en dénombre 4 574, indiqués dans le graphique qui suit avec lat. class., lat. tardif.
Il y a, d'autre part, et en très grande majorité, des mots qui proviennent de la culture latine écrite, les « latinismi », par exemple tirés de la traduction d'ouvrages latins où les écrivains pouvaient puiser
- des mots plus abstraits comme
alleanza 'alliance', amicizia 'amitié', difficoltà 'difficulté'
- des mots techniques du domaine du droit, de la géométrie, de la médecine, de l'architecture
cessione 'cession', contraente 'contractant'
equilatero 'équilatéral'
arteria 'artère', cervello 'cerveau', costole 'côte', femore 'fémur'
cemento 'ciment'
Ils sont au nombre de 30 622.
Au sein des deux catégories des « lessemi patrimoniali » et des « latinismi », on peut distinguer les apports du :
- latin classique (latin ancien écrit) : le latin par excellence
- latin ancien et tardif reconstruit (indiqué avec * parce que nous ne possedons pas de traces écrites)
- latin tardif et ecclésiastique écrit : filtre phonologique des mots entrés dans l'italien provenant du grec
- latin écrit médiéval (en rapport avec la tradition vulgaire parlée)
- latin moderne
- latin scientifique
On peut remarquer que le latin a toujours été une langue de culture (à partir du Moyen-Âge en passant par la Renaissance (XVe-XVIe siècles) pour arriver au XVIIIe siècle) et aussi la langue de l'Église catholique jusqu'au Concile Vatican II (1962-1965).
Les « latinismi » ont donc beaucoup contribué à l'enrichissement du lexique italien. Ils ont conduit
- à la création de doublons
parabola(m) > parola ~ parabola
On peut remarquer que le deuxième mot n'a pas subi de changement phonétique comme le premier, étant rentré dans la langue par voie écrite.
- à l'introduction de suites de consonnes qui n'existaient pas dans le lexique de base
pensare/penser > pesare 'peser'
mensile/mensuel > mese 'mois'
- à l'augmentation de mots proparoxytons (avec l'accent tonique sur l'antépénultième syllabe) :
spathula(m) > spa-to-la > spalla (spal-la)
Le lexique florentin étant constitué pour la plus part de mots paroxytons (avec l'accent tonique sur l'avant dernière syllabe).
À ces « latinismi » que nous pouvons considérer comme des emprunts adaptés, on peut ajouter des emprunts non adaptés
referendum, herpes, ictus, agenda, grosso modo
et des mots latins qui sont entrés dans l'italien à travers l'anglais comme
auditorium, focus, mass media
Le latin a aussi contribué à enrichir l'italien d'un point de vue sémantique. Les écrivains ont largement utilisé des mots qui, en latin, avaient une autre signification par rapport aux mêmes mots italiens : par exemple :
studioso = 'studieux' voulait dire aussi en latin 'avide'.
1. Emprunts aux langues de substrat
Avant et en même temps que les Romains, il y avait d'autres peuples qui habitaient la Péninsule et parlaient d'autres langues que le latin, notamment les Étrusques, les Celtes et les Osques-Ombriens. De leurs langues, l'italien a hérité de mots comme
persona 'personne', popolo 'peuple', catena 'chaîne' < Étrusques
betulla 'bouleau', becco 'bec', carro 'char' < Celtes
lupo 'loup', scrofa 'truie'/'laie' < Osques-Ombriens
2. Emprunts du grec ancien
La plupart des mots provenant du grec sont entrés en italien à travers le latin.
Il s'agit de :
- noms de plantes
ciliegio 'cérisier', ulivo 'olivier', mandorlo 'amandier'
- noms d'animaux marins
acciuga 'anchois', balena 'baleine', tonno 'thon'
- des parties du corps
gamba 'jambe', spalla 'épaule', braccio 'bras'
- d'objets quotidiens
ampolla 'burette', anfora 'amphore', lampada 'lampe'
- des sciences
filosofia 'philosophie'
retorica 'rhétorique'
aritmetica 'arithmétique'
geometria 'géométrie'
geografia 'géographie'
- du lexique réligieux
battesimo 'baptême', carisma 'charisme', basilica 'basilique', vescovo 'évêque', monaco 'moine'
Au Moyen-Âge, à l'époque de la domination byzantine, entrent dans l'italien des mots comme
anguria 'pastèque', molo 'môle', ormeggiare 'amarrer'
dans la période de l'humanisme (XVe) :
catastrofe 'catastrophe', entusiamo 'enthousiasme', dialetto 'dialecte', periodo 'période'
à partir du milieu du XVIIe siècle : des mots de la médecine, des sciences naturelles et des mathématiques.
3. Les mots d'origine anglaise
Ce n'est qu'à partir du XVIIe siècle que l'anglais suscite de l'intérêt en Italie. Dans la période précédente c'était plutôt les Anglais qui s'intéressaient à la culture italienne. Mais, concrètement, malgré l'intêret porté par quelques intellectuels italiens au XVIIIe siècle envers la culture anglaise, il n'y a pas eu de transfert de mots de l'anglais à l'italien. Au XIXe siècle, ce sont les traductions des romans de l'écossais Walter Scott ou de l'américain James Fenimore Cooper qui amènent à la diffusion de mots anglais, par exemple
gentleman 'monsieur', milady 'madame', whisky, whist, pellerossa 'peau-rouge', sceriffo 'shérif'
C'est après 1950 que trois quarts des emprunts non italianisés entrent dans la langue italienne dans les domaines
- de la vie quotidienne
shampoo, fast-food, light, manager, check-in, meeting
- du sport
basketball, football
- du spectacle
star, audience, pay-tv, share, « piedipiatti »/policier), de la mode (fashion, look, glamour, top model
- de la publicité
target, spot, testimonial
- de la musique
blues, rock, rap, soul, disco, dance
- et des medias.
En italien, il y a aussi des mots qui ressemblent à des mots anglais, mais n'en sont pas, comme, par exemple
pressing (en anglais forcing)
footing (en anglais jogging)
golf (dans le sens de « maglione » 'pull')
Des 8 468 mots anglais entrés dans la langue italienne, plus de la moitié (4782) appartiennent aux domaines techniques et scientifiques.
4. Les mots d'origine provençale et française
À l'époque médiévale les emprunts au français et au provençal furent nombreux, spécialement dans les domaines de la vie quotidienne (IXe-XVe siècles : dominations des Carolingiens, des Normands et des Anjou) du commerce et de la littérature (les chansons de geste ainsi que la lyrique des troubadours). Ils concernent donc :
- le lexique élémentaire :
mangiare 'manger', burro 'beurre', cugino 'cousin', roccia 'rocher', giallo 'jaune' < ancien français
bugia 'mensonge', coraggio 'courage', pensiero'pensée', speranza 'espoir' < provençal
- le langage militaire :
cavaliere 'chevalier', scudiere 'écuyer'
- le langage de la vie de la cour :
levriero 'lévrier' (chasse)
corsetto 'corset', gioiello 'joyau' (habillement)
liuto 'luth', viola 'viole' (musique)
giardino 'jardin', sala 'salle', torneo 'tournoi'
- le langage de l'amour courtois : « gioia »/joie, « noia »/ennui, « merzé »/merci, « talento »/talent (mots clé du vocabulaire amoureux)
Si aux XVe et XVIe siècles, c'est l'italien qui s'affirme comme langue de culture dans l'Europe de la Renaissance, à partir de la deuxième moitié du XVIe siècle et jusqu'à la fin du XVIIIe, l'influence du français reprend le dessus. Ce sont les mots qui concernent
- la vie de société
società 'société', spirito 'esprit', brillante 'brillian'
- la mode
cravatta 'cravate', parrucchiere 'coiffeur'
- et la gastronomie
bignè 'beignet', liquore 'liqueur', pasticceria 'pâtisserie', ragù »/ragoût)
qui prévalent. S'ajoutent des mots provenant du lexique de la philosophie
pregiudizio 'préjugé, tolleranza 'tolérance', libertinaggio 'libertinage'
Dans la période napoléonienne, ce sont des mots provenant du domaine militaire
caserma'caserne', fucile 'fusil', gendarme 'gendarme', uniforme 'uniforme'
et politique
patriota 'patriote', rivoluzionario 'révolutionnaire'
qui entrent dans la langue italienne. Dans la deuxième moitié du XIXe siècle et au XXe siècle, nous trouvons
maionese 'mayonnaise', menu', boutique…
5. Les mots d'origine espagnole et portugaise
Jusqu'au XVe siècle l'espagnol joua un rôle important de médiateur pour la diffusionde mots d'origine arabe dans la péninsule. À partir du XVe siècle, des mots comme
infante 'prince royal', posata 'couvert'
et ensuite
appartamento 'appartement', burla 'plaisanterie', regalo 'cadeau', ammutinare 'mutiner', baciamano 'baisemain', complimento 'compliment'
Par le portugais arrivent en italien les mots comme
ananas, banana 'banane', cocco 'noix de coco'
6. Emprunts aux langues germaniques et à l'allemand
À travers le latin, les populations germaniques ont transmis principalement, via les langues germaniques dont l'allemand (langue standard parlée dans la partie méridionale de l'Allemagne) des mots appartenant au lexique quotidien, par exemple
sapone 'savon', vanga 'bêche'
ou alce 'élan', un animal que les Romains ne connaissaient pas. En suite, les Goths, les Lombards et les Francs occupèrent certaines régions de l'Italie. De ces dominations, la langue italienne hérita des mots comme
fiasco 'flasque'
- ainsi que des mots du domaine militaire comme
albergo 'logement pour l'armée', elmo 'heaume', guardia 'garde'
- ou des mots liés aux chevaux comme
briglia 'bride', staffa 'étrier', stallone 'étalon'
Du lombard, proviennent des mots des parties du corps comme
anca 'hanche', guancia 'joue', schiena 'dos', stinco 'tibia'
ou des mots qui se réfèrent à la maison
balcone 'balcon', scaffale 'étagère', gruccia 'bequille/cintre'
Du francique :
banco 'banc', guanto 'gant', roba 'choses'
Entre le XIIIe et le XVIIe siècle, ce sont surtout des mots du domaine militaire qui entrent en italien
alabarda 'hallebarde
Aux XVIIIe-XIXe siècles, c'est à travers le français qu'arrive le mot calesse 'cabriolet' ainsi que walzer et les noms des liqueurs vermut et kirsh, mais aussi les mots comme morfologia 'morphologie', stilistica 'stilistique'. Au XXe siècle, c'est à nouveau le domaine militaire qui prévaut (lager, kaputt, panzer).
7. Emprunts à l'arabe
L'influence de la langue arabe commence déjà aux VIIe-VIIIe siècles a.C. et continue jusqu'à nos jours. Les principaux mots qui nous viennent de l'arabe sont des noms de fruits comme
albiccocca 'abricot', arancio 'orange', limone 'citron'
- de légumes comme
carciofo 'artichaut'
- ou d'épice comme
zafferano 'safran', zucchero 'sucre'
Des mots ayant trait à la mer, comme
ammiraglio 'amiral', darsena 'darse', magazzino 'dépôt'
ou aux sciences
alambicco 'alambic', alchimia 'alchimie', algebra 'algèbre', algoritmo 'algorithme', zenit 'zénith', nadir
Au XXe siècle, environ deux cents mots d'origine arabe sont entrés en italien, comme, par exemple,
kebab, hummus, halal, intifada
8. Les mots provenant de l'hébreu
Ces mots entrent par le biais de la Vulgate de la Bible. Il s'agit de mots comme
manna 'manne', serafino 'séraphin', cherubino 'chérubin', amen, alleluia, sabato 'samedi', osanna
9. Les mots provenant du chinois, du japonais et du russe
C'est par le Milione de Marco Polo (XVIe siècle) qu'arrivent des mots comme Catai (dans le sens de 'chinois'), et le toponyme Cin ; et, par le biais des missionnaires franciscains et jésuites (XVIe, XVIIe), les adjectifs tartaro 'tartare' et mongolo 'mongol' ; tè 'thé' et ginseng. Il faudra attendre la deuxième moitié du XXe siècle, au moment de la révolution culturelle de Mao Tse-Tung, pour trouver d'autres mots, comme, par exemple, dazebao, les pancartes utilisées par les jeunes pour les slogans.
À partir de la moitié du XVIe siècle, dans les relations des voyageurs italiens qui s'étaient rendus au Japon, on trouve des mots comme geisha, bonzo, chimono, tatami, sakè ainsi que le nom du fruit cachi que les italiens ont interprété comme un pluriel et donc ils ont crée un singulier caco. Au XIXe siècle, grâce à l'ouverture vers l'occident, par le biais d'articles de journaux, dictionnaires et relations de voyage, se diffusent les mots banzai et harakiri. Au XXe siècle, les manga, les noms des arts martiaux (judo, karate, aikido), le karaoke, le sudoku ; des mots de la gastronomie sushi, sashimi, wasabi ; ou encore, zen, origami, bonsai et plus recemment tsunami.
À part les quelques mots russes qui entrèrent en italien dès le XVIe siècle (russo, zar, copeco, rublo, pope, dacia, troika, tundra, taiga), il faudra attendre la deuxième moitié du XXe siècle pour trouver des mots comme gulag, massimalismo 'maximalisme', attivismo 'activisme', quadro (dirigent politique) 'cadre'.
10. Emprunts adaptés : les régionalismes et les dialectismes
Au cours des deux derniers siècles, la langue italienne s'est enrichie de régionalismes et de dialectismes (7 700, plus du vocabulaire de base qui se compose de 6 700 lexèmes !). Ce sont des mots utilisés surtout dans la région d'origine (les régionalismes) même si tous les Italiens en comprennent la signification ; ou des mots qui, malgré leur origine locale, ont dépassé les frontières de l'endroit où ils sont nés et sont compris et utilisés de tous les locuteurs italiens (les dialectismes). Il est difficle d'en faire une distinction exacte.
Ils sont liés surtout :
- à la vie quotidienne
carnezzeria en sicilien ~ macelleria 'boucherie' en italien
- à l'alimentation
sicilien cannolo
napolitain mozzarella
piémontais grissino
milanais panettone
- aux métiers traditionnels
piémontais mondina 'la femme qui cueille et nettoie le riz'
- aux noms des ustensiles de cuisine
dialecte de Rome sgommarello = mestolo 'la louche'
- aux noms d'habitations
maso dans le Trentin
trullo dans les Pouilles
- aux éléments du paysage naturel et du territoire
frioulan foiba = fossa 'trou'
- à la criminalité et à la société
sicilien mafia
lombard teppista
napolitain guappo 'personne violente et sans scrupules'
Ce phénomène s'est vérifié après le processus d'unification du Pays (1861), qui a amené la culture écrite italienne (qui correspondait au florentin du XIVe siècle), même si ce fut très lentement, à se rapprocher de la culture orale dialectale. La plupart des mots proviennent du dialecte de Rome, suivis par les mots d'origines milanaise, napolitaine et sicilienne. On considère ces mots comme des emprunts adaptés, vu qu'ils sont entrés dans les systèmes phonetique et morphologique de l'italien
tortellino = émilien turtlein
Parmi ces mots, se trouvent les géosynonymes, des mots différents qui ont la même signification et qu'on utilise à l'échelle régionale. Par exemple, le pastèque peut s'appeler anguria, cocomero, mellone, citrone.
[1] Tullio DE MAURO, Storia linguistica dell'Italia repubblicana dal 1946 ai nostri giorni, Editori Laterza, Roma-Bari, 2014, p. 218-219.
Cette page a été rédigée pour ROMA·NET par Sabina Gola. |