L'expression de la vitesse en latin

Comment les Romains exprimaient-ils la vitesse ?

La vitesse est une notion abstraite. Pour former les noms abstraits, le latin part très souvent de l’adjectif correspond en y ajoutant un suffixe (très souvent -itas) – un procédé que l’on retrouve en français : rapide → rapidité. Ce procédé se retrouve dans la grande majorité des termes qui véhiculent l’idée de vitesse :

  • Rapiditas : ce mot fait penser au mot rapidité en français, qui en est issu, mais en latin il ne désigne que la rapidité d’un cours d’eau et implique une idée de violence (d’où les rapides en français) que l’on retrouve dans le verbe rapio (‘ravir’) à partir duquel a été formé rapidus (‘violent, impétueux’) → rapidité ;
  • Celeritas est formé à partir de l’adjectif celer, qui signifie ‘prompt’, qui peut être mis en parallèle un nom du grec ancien : κέλης (kelês) qui désigne le cheval de course (dérivé lui-même du verbe κέλλω (kellô) qui signifie ‘mettre en mouvement’) ;
  • Mobilitas est formé sur l’adjectif mobilis ‘mobile, souple, prompt’, lui-même formé sur le verbe moueo ‘bouger’ ; le processus mental est proche de celui de celeritas.
  • Pernicitas est formé à partir de l’adjectif pernix ‘agile, prompt’, dérivé du nom perna ‘jambe’ (ou ‘cuisse du porc, jambon’). L’accent semble être mis ici sur le moyen qui rend possible la vitesse : les jambes !
  • Velocitas est formé sur l’adjectif uelox ‘vif, agile’, à rapprocher du verbe uegeo, ‘animer, donner de la force’ ou encore ‘être vif, ardent’. L’accent est davantage placé sur la cause interne de la vitesse ; on retrouve également le lien entre vitesse et chaleur, qui a été exploré dans la partie consacrée au français. En outre, les anciens Romains rapprochaient uelox de ueles, ‘soldat d’infanterie légère’ (et donc souple, prompt), mais il s’agit sûrement là d’une étymologie populaire[1], dont les Romains étaient particulièrement friands.

Ce rapide tour d’horizon nous permet de nous rendre compte de ce que le mot vitesse pouvait évoquer aux oreilles des Romains : l’accent est tantôt mis sur l’instrument du déplacement (pernicitas), tantôt mis sur l’action de se mouvoir en elle-même (mobilitas, celeritas), tantôt sur la cause interne du mouvement (uelocitas).


[1]Une étymologie populaire est une étymologie qui se base sur la ressemblance entre deux termes pour les rapprocher, sans qu’il y ait forcément de lien de sens (lien que les Anciens forçaient pour rendre crédibles leurs explications).

revue roma blanc 120 Cette page a été rédigée pour ROMA·NET par Guillaume Quintin et Paolo Oliveri.

L'expression de l'hypothèse en latin

Le latin présente un schéma assez clair et synthétique pour véhiculer l’idée d’hypothèse : en italien on appelle ce processus syntaxique sous le nom de periodo ipotetico, tandis qu’en français on n’a pas un nom pour le processus en général, mais on définit les différents cas de l’expression de l’hypothèse de manière particulière.

Tout d’abord, il est important de distinguer les deux parties de la proposition en latin : d’un côté on a la protase, une proposition subordonnée qui exprime l’hypothèse, normalement elle est introduite par des particules telles que si (‘se’), nisi (‘si non’), sin (‘si par contre’). La proposition principale est appelée apodose et exprime les conséquences de la protase, elle n’est introduite par aucune particule.

Le premier type de construction qu’on va voir sert à exprimer une hypothèse certaine avec objectivité. Dans la protase on trouve l’indicatif (ou le subjonctif, si le sujet est indéterminé), et dans l’apodose aussi l’indicatif (ou bien, les modes des propositions indépendantes en latin, à savoir subjonctif et impératif). Pour ce qui est des temps de ces verbes, ils suivent les règles de la consecutio temporum.

Indicatif dans la protase et dans l’apodose :

Poma, si matura sunt, decidunt

Sujet indéterminé dans la protase, subjonctif :

Ne vivam, si hoc sciebam

Impératif dans l’apodose (on peut trouver aussi le subjonctif)

Si vis pacem, para bellum

On a, ensuite, une construction qui exprime la possibilité : cette possibilité peut être envisagée dans le présent ainsi que dans le passé selon les temps des verbes qu’on va utiliser. La possibilité est envisagée ici comme réalisable, or il n’y a pas de certitude comme dans le cas précèdent.

Pour une possibilité dans le présent, on va trouver dans la protase, ainsi que dans l’apodose, le subjonctif présent.

Si eum videas, recognoscas

Pour une possibilité dans le passé, il suffit juste de changer le temps du subjonctif au parfait (cette construction est, pourtant, rare en latin)

Si hoc ex eo quaesieris, libenter responderit

La dernière construction possible en latin sert à exprimer l’irréalité d’une hypothèse : elle peut avoir lieu (comme pour la possibilité) dans le présent et dans le passé et cette distinction se fait toujours au niveau des temps verbaux. L’hypothèse exprimée dans la protase se trouve, ici, contraire à la réalité.

Pour exprimer l’irréalité dans le présent, on utilise dans la protase, ainsi que dans l’apodose, le subjonctif imparfait :

Si Romae esset, libenter eum viserem
‘si Roma était là (mais il n’est pas là), je le rencontrerais volontiers

Pour exprimer l’irréalité dans le passé, il suffit simplement de changer le temps au plus-que-parfait :

nisi te amavissem, hoc tibi non dixissem
‘si je ne t’aimais pas (mais je t’aime), je ne te dirais pas cela’

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L'expression du rêve en latin

On peut, grâce à la comparaison, remonter à une racine reconstruite du mot somnium en proto-indo-européen : *swe-p-, *swe-d-/*swop. Il s’agit d’un thème II en CC-eC avec un degré plein et fléchi. Or, nous pouvons reconstruire aussi un thème III en CC-C au degré zéro *su-p-, suivi par des suffixes *-no-, *-to. 

Sur la base du degré zéro qu’on vient de voire, se sont constitués les mots en grec et en sanskrit pour désigner le rêve : on a, d’un côté, ὕπνος (*hup-nos) (la sifflante à l’initiale en grec s’affaiblit jusqu’à devenir une aspirée pour, ensuite, disparaitre complètement et laisser une aspiration signalée par l’esprit rude) ; de l’autre sup-tá- (le suffixe est bien *-to, or le sanskrit connait une confusion de timbre qui transforme ses voyelles (sauf i, u) en –a). 

Sur la base du thème *swe-p- on a, en sanskrit, d’adjectif dérivé sv-ap-i-ti, en latin, cette fois sur base du degré fléchi *swop, on a somnium (dérivé en –i de somnus qui se construit sur la même racine indoeuropéenne).

Pour désigner le rêve, en latin, la forme somnium est la plus courante (Cic. Div. I, 132), or, ce mot, traduit en français, ou en une autre langue romane, peut aussi signifier illusion, imagination. Sur la base de somnium, le latin fournit un dérivé : un substantif de la 3e déclinaison à valeur d’agent en –tor : somniator, is. Une autre façon, bien que beaucoup moins attestée, de designer le rêve est le mot pour désigner le sommeil lui-même : somnus. En effet, les Anciens ne reconnaissaient pas forcément une grande différence entre sommeil et rêve et cela est confirmé par la figure de Somnus, divinité personnification du sommeil qui recouvre aussi le rôle de « père des rêves ». Fils d’Erèbe et de Nuit, frère de Mort, Somnus correspondait au dieu grec Hypnos. D’après Virgile, sa demeure se trouvait dans l’Hadès, d’après Ovide dans le pays des Cimmériens. On le représentait souvent ailé alors qu’il parcourait la terre et faisait endormir les hommes (en les guidant dans leurs rêves).

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L'expression de l'aspect en latin

1. L’aspect dans la conjugaison

En latin, la manifestation la plus évidente de l’aspect se trouve dans la conjugaison elle-même, avec l’opposition entre les temps de l’infectum (‘inachevé’) et les temps du perfectum (‘achevé’). Les temps de l’infectum sont le présent, l’imparfait et le futur, et les temps du perfectum sont le parfait, le plus-que-parfait et le futur antérieur.

Currus haerebat
‘le char s’arrêtait’ = il était en train de s’arrêter, il accomplissait l’action de s’arrêter’

Currus haesit
‘le char s’est arrêté’ = il a fini l’action de s’arrêter, il est immobile

Cette opposition aspectuelle avait déjà été remarquée par les Romains (notamment par Varron, au Ier ACN), mais n’était déjà plus très claire en latin classique, où tous les temps du perfectum étaient devenus des temps du passé et avaient perdu leur nuance aspectuelle. Ainsi, un verbe au parfait indique surtout que l’action se déroule dans le passé, sans précision par rapport à sa valeur aspectuelle.

2. L’aspect dans le lexique

Si l’aspect s’est perdu dans la conjugaison, il s’est maintenu dans le lexique, le plus souvent par l’ajout d’un préfixe ou d’un suffixe au verbe de base, qui permet d’opposer l’aspect indéterminé (l’action est vue dans un déroulement sans fin) du verbe de base à l’aspect déterminé (l’action est saisie à un moment précis de son déroulement) du verbe dérivé.

Le suffixe -sc- marque le commencement d’une action. Il n’apparaît qu’aux temps de l’infectum et disparaît au perfectum :

Viae strepitu assuesco
‘je m’habitue au vacarme de la rue’

Viae strepitu assueui
‘je suis habitué au vacarme de la rue’

Le préfixe de- marque l’achèvement d’une action. Ainsi, bello signifie ‘je fais la guerre’ mais debello signifie ‘je mets fin à la guerre’.

La plupart des verbes signifiant qu’un fait arrive ou survient sont des verbes composés, puisqu’ils portent par définition l’aspect déterminé :

In essedo vehi oraui
‘j’ai demandé à voyager en char gaulois’

in essedo vehi exoraui
‘j’ai obtenu après l’avoir demandé de voyager en char gaulois’

3. L’aspect sémantique

Certains verbes ont, par leur sens, des affinités avec aspect ou indéterminé ou déterminé. Les verbes qui expriment intrinsèquement un aspect indéterminé, vont plus tendre vers l’imparfait que vers le parfait :

Nero suae matris nauem sidere cupiebat
‘Néron souhaitait que le bateau de sa mère coule’ → il serait invraisemblable d’avoir ici cupiuit à la place cupiebat

4. L’aspect périphrastique

Le latin possède des périphrases véhiculant une nuance aspectuelle précise. C’est le cas de coepi, qui se construit avec un infinitif et marque le commencement de l’action :

Currum in Appia via ducere coepi
‘j’ai commencé à conduire mon char sur la Via Appia’

5. Et le latin vulgaire ?

Le latin vulgaire était le latin parlé dans la vie de tous les jours, durant la période qui va du IIIe-IIe ACN au VIe PCN (le latin classique). C’est de ce latin vulgaire que proviennent les langues romanes.

En latin vulgaire, la tendance était de rendre l’aspect moins abstrait. Par exemple, pour combler la lacune laissée par le parfait lorsqu’il a perdu son côté aspectuel pour endosser son sens temporel, en latin vulgaire a émergé la périphrase habeo + participe parfait passif à l’accusatif, dont est issu le passé composé du français, qui servait à exprimer l’aspect résultatif :

habes inuitatum episcopum (Grégoire de Tours - VIe PCN)
‘tu as invité l’évêque’ → il est présent

Le latin vulgaire cherche d’autant plus à marquer l’aspect de façon plus concrète que la valeur aspectuelle transmise par les préfixes se perd : les verbes simples sont abandonnés au profit des verbes composés, ces derniers prenant le sens des premiers :

LC ducere ‘conduire’ → LV conducere ‘conduire’ → FR conduire[1]


[1]LC = latin classique ; LV = latin vulgaire ; FR = français

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Dire tout et le contraire de tout en latin

Le latin classique a deux négations de base : non et ne. Non sert à nier un fait et se place devant le terme ou la proposition qu’il nie. Ne sert à nier une idée et n’est employé seul que dans les propositions subordonnées. Une troisième négation, haud, existe, mais est plus rare ; elle nie généralement un adjectif ou un adverbe. À côté de cela, il existe différentes négations composées dont la principale est neque/nec, qui signifie ‘et ne…pas’.

Le latin vulgaire, qui est la forme particulière de latin parlée par le peuple et est aussi la forme du latin dont sont issues les langues romanes, ne suivait pas les règles canoniques du latin classique, les négations de base y ont été rapidement remplacées. La négation ne a été remplacée par non dans les propositions. Cependant, non ne s’est pas conservé non plus, il est remplacé par neque/nec, qui est une forme accentuée et, par conséquent, plus marquée. C’est cette forme qui donnera le ne… pas du français. Soit, en résumé :

  Latin classique Latin vulgaire
Dans les prop. Non Nec
Dans certaines prop. sub. Ne Non
Devant adv./adj. Haud X

D’autre part, apparaît aussi une forme atténuée de négation, minus, qui s’est conservée dans les langues romanes. Bien que cette forme de négation soit caractéristique du latin vulgaire, on en trouve un exemple chez Cicéron :

At non numquam ea, quae praedicta sunt, minus eueniunt (Cic., Div. 1, 14, 24)
Trad. (Ch. Apphun) Mais, dira-t-on, les événements prédits n’arrivent pas toujours.

Enfin, en latin classique, une double négation dans une proposition équivaut à une affirmation, partielle ou totale. C’est le principe de la litote :

Aperte enim adulantem nemo non uidet nisi (…). (Cic, De am., 26, 99)
Trad. Car personne ne voit pas [= tout le monde voit] celui qui rampe ouvertement, sauf (…)

En latin vulgaire, par contre, la double négation sert à renforcer une négation.

iura te non nociturum (…) nemini (Plaute, Mil., 1411)
Trad. (V. Väänänen) Jure que tu ne feras de mal à personne !

revue roma blanc 120 Cette page a été rédigée pour ROMA·NET par Guillaume Quintin et Timothée Coussement.
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