FRANÇAIS

FR

 

Bonjour, je suis Julie.

Ma langue maternelle est le français. Oh, pas n’importe quel français : le français de Belgique ! Pourquoi est-ce que je prends la peine de vous donner cette précision ? Parce que le français de Belgique présente ses particularités propres.

Prenez mon prénom par exemple. Pour les Français, je m’appelle Julie /ʒyli/, avec un /i/ bref, alors que pour les Belges, je m’appelle Julie /ʒyli:/, avec un /i:/ long. Et le /i/ long de mon prénom, j’y tiens beaucoup, parce que c’est en lui que réside toute ma féminité. Non, ne souriez pas, je suis très sérieuse : dans le français de Belgique, allonger la voyelle finale d’un mot, c’est vraiment une manière de faire comprendre que ce mot est féminin. Par exemple, l’allongement du /i/ permet aux francophones de Belgique de faire la différence entre un ami /ami/ et une amie /ami:/, subtilité qui échappe aux Français, qui ne font pas la différence entre un ami /ami/ et une amie /ami/.

Alors, mon prénom, justement.

Il compte usuellement deux syllabes : /ʒy.li:/. Mais parfois, il en compte trois ; par exemple, quand on n’est pas très content de moi, je deviens /ʒy.li:.œ/ et parfois même /ʒy.li:.jœ/ ! Le petit -e qui est écrit à la fin de mon prénom, qu’on ne prononce pas d’ordinaire, on le prononce pour me rappeler à l’ordre. En revanche, quand on a besoin de moi, on aurait plus tendance à m’appeler /ʒy.li:/, en mettant l’accent sur la première syllabe, alors que d’ordinaire on le met sur la dernière : /ʒy.li:/.

Vous voyez, on peut prononcer mon prénom de plein de façons… mais moi, j’aime surtout quand on dit /ʒy.li:/, avec un /i/ qui n’en finit pas.

Julie… ce prénom donne bien du mal aux Italiens. D’abord, il leur donne du mal quand ils le voient écrit, parce que la lettre j « ji » qui débute mon prénom – J majuscule – n’existe pas dans l’écriture de l’italien ; et puis le son qui se cache derrière cette lettre j, le /ʒ/, n’existe pas non plus en italien ; en italien le /ʒ/ ne sort jamais sans son /d/ : /ʤ/. Ensuite, il y a le u qui suit le ; cette lettre existe en italien, mais le u de l’italien ne se prononce pas /y/, il se prononce /u/. Enfin, la féminité des prénoms italiens, elle tient tout entière dans un petit -a final, qui fait que le /i/ dont je suis si fière devient chez les Italiens un tout petit /i/, très bref. Tout cela fait que pour les Italiens, je deviens /ʤu.lia/, au lieu de /ʒy.li:/, avec l’accent sur la première syllabe … et une fois écrit, mon prénom devient Giulia. Méconnaissable !

Les choses sont à peine plus simples pour les Espagnols. D’accord, le j existe dans l’écriture de l’espagnol, seulement voilà, le son qui se cache derrière le j espagnol n’est pas le même que celui qui se cache derrière le j français. En espagnol, le j se prononce /x/. Le reste de mon prénom pose à l’espagnol les mêmes problèmes qu’à l’italien : ce qui s’écrit u se prononce /u/, ma féminité se manifeste à travers un -a final qui tyrannise tellement le i qui le précède qu’il le fait devenir bref. C’est ainsi que pour les Espagnols, je deviens Julia /xu.lia/, avec l’accent sur la première syllabe encore.

Mon prénom donne un peu moins de mal aux Portugais. En effet, mon j ne leur pose aucun problème, puisqu’en portugais, non seulement cette lettre existe, mais en outre le j portugais se prononce comme le j français : /ʒ/. Mais la suite de mon prénom pose aux Portugais les mêmes problèmes qu’aux Italiens et aux Espagnols. La lettre u se lit /u/ en portugais, et la fémininité se loge tout entière dans le -a final, dont la prononciation /ɐ/ est propre au portugais… et dont la présence affaiblit une fois encore mon /i/. Pour les Portugais, je suis donc Júlia /ʒu.liɐ/.

Quant aux Roumains… Comme le français et le portugais, le roumain cache derrière la lettre j le son /ʒ/ ; pas de problème donc avec mon J. Mais le roumain rejoint l’italien, l’espagnol et le portugais en ce qu’il utilise la lettre u pour transcrire le son /u/ et traduit ma féminité en ajoutant à la fin de mon prénom un -a qui tyrannise tellement mon /i/ qu’il le réduit en semi-voyelle : /j/. Pour les Roumains, je pourrais donc être /ʒu.lja/… mais en réalité, je deviens /ju.lja/, sous l’influence du prénom roumain Iulia.

Vous comprenez maintenant pourquoi je tiens tellement au /i:/ long de mon prénom, une forme de féminité que le français de Belgique ne partage avec aucune autre langue romane.

revue roma blanc 120 Cette page a été rédigée pour ROMA·NET par Annick Englebert.
ULB multigram Label