Le masque dans la littérature espagnole

La máscara (Gabriel Celaya)

Gabriel Celaya, de son vrai nom Rafael Gabriel Juan Múgica Celaya Leceta,  est l’un des poètes les plus représentatifs de la poésie engagée des années 50 du XXe siècle en Espagne. Il signe ses premiers ouvrages du nom de Rafael Múgica. Quelques années plus tard, en 1946, il adopte le nom de Gabriel Celaya pour ne pas mélanger sa facette de poète à celle d’ingénieur, ce qui d’après les travailleurs de l’entreprise familiale pouvait être mauvais pour son métier. Enfin, son dernier hétéronyme est Juan de Leceta, réservé à quelques livres qui, selon lui, possèdent un style différent.

Ce goût pour les hétéronymes est étroitement lié au poème présenté ici, et plus largement au livre auquel le texte appartient,  Los espejos transparentes, paru en 1968, dont le thème principal est celui du déguisement, du paraitre, enfin du masque. Il y met en avant l’idée selon laquelle nous cachons derrière le masque non seulement notre visage, mais aussi nos mots.

Le dicen a uno: «¡Quítese la careta!».
Uno se la quita, salvando la vergüenza,
pues bien mirado, ¿cómo mostrarse tan desnudo
en este mundo falso de ojos denunciadores?
Mas los guardias son puros, aséptico-anestésicos:
«sea usted honesto. Quítese la careta»
Me la quito y mi rostro, modelo-modelado,
es tan igual a aquella careta que he tirado,
que los guardias me dicen más y más irritados:
«¡Quítese la careta! ¡Quítese la careta!»
- «Es mi rostro», les digo. Se ríen. No me creen.
¡Debo ser tan feo, tan grotesco, increíble!
-¡Quítese la careta! Ya no sé qué quitarme.
Desgarro mis mejillas, me arranco las pestañas
y algunos funcionarios amables colaboran.
Al fin, tras la careta, las cien caretas tercas,
surge un óvalo liso, sin ojos ni facciones.
Su seguro servidor que firma, aunque no es nadie,
el atestado que ahora le llevará a la cárcel.

(Celaya, Gabriel, « La máscara », Los espejos transparentes, Editorial Losada, 1977, p. 43.)

Trad. Ils disent : « Enlevez votre masque ! » / On l’enlève, sauvant la honte, / bien observé, comment se montrer si nu / Dans ce faux monde aux yeux dénonciateurs ? / Mais les gardiens sont purs, aseptiques-anesthésiques : / « Soyez honnête. Enlevez votre masque ». / Je l’enlève et mon visage, modèle modélisé, / il est si égal à ce masque que j’ai jeté, / que les gardiens me disent de plus en plus irrités : / « Enlevez votre masque ! Enlevez votre masque ! » / – « C’est mon visage », leur dis-je. Ils rient. Ils ne me croient pas. / Je dois être si moche, si grotesque, inimaginable ! « Enlevez votre masque ! » Je ne sais plus quoi décoller. / Je déchire mes joues, j'arrache mes cils / et quelques fonctionnaires amicaux m’aident. / Enfin, derrière le masque, les cent masques tenaces, / un ovale lisse émerge, sans yeux ni traits. / Votre fidèle serviteur, qui signe, même s’il n’est personne, / le rapport qui le mènera alors en prison. 

revue roma blanc 120 Cette page a été rédigée pour ROMA·NET par Alba Ballesta Martinez.
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