La variation géographique de l'espagnol

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1. Histoire de la langue espagnole

Les premiers textes écrits en langue castillane sont à caractère religieux tandis que celui que l'on considère comme le premier document en français est militaire et politique, et le premier document en italien est commercial. En effet, vers 940 on voit apparaître parmi des textes latins rédigés aux Monastères de San Millán de la Cogolla (Rioja) et Santo Domingo de Silos (Burgos), sur la route des pèlerinages à Saint-Jacques-de-Compostelle, des mots en langue vulgaire ou romane qui expliquent le lexique latin. Du Xᵉ au XVᵉ siècle, on parle et on écrit en Espagne six langues : le latin, l'hébreu, l'arabe, le galicien, le catalan et le castillan. Ce dernier est né dans la région de Cantabrie (Santander) et côtoyait deux autres dialectes du latin vulgaire, l'astur-léonais et le navarro-aragonais. Alphonse X, dit le Sage (XIIIᵉ siècle), fait du castillan la langue officielle et sous son autorité on écrit et on traduit en castillan des ouvrages juridiques, scientifiques et d'histoire. Ce roi, qui était aussi poète, écrivait par contre en galicien, qui était la langue de la lyrique (Cantigas de Santa María). Au cours de la Reconquête le castillan s'étendit vite vers le centre et l'Andalousie.
On a découvert assez récemment l'existence d'autres dialectes du latin vulgaire parlés dans l'Espagne musulmane, connus sous le nom de mozárabe. L'espagnol actuel conserve beaucoup d'arabismes, la plupart commencent par l'article arabe al– : du lexique de la guerre (alcazaba), de l'agriculture (alberca), de l'habitation (aldea), des institutions (alcalde, alcaide, alguacil…) des mathématiques (álgebra) ou de la toponymie (Alcalá, Alcántara…)
La première grammaire de la langue castillane date de 1492 (Antonio de Nebrija). Elle fut publiée quelques mois après la fin de la Reconquête et peu de temps avant que les caravelles de Christophe Colon n'arrivent en Amérique. À partir de cette date, le castillan devient la langue espagnole et l'espagnol une langue universelle parce que, comme le disait Nebrija : Siempre la lengua fue compañera del Imperio (La langue fut toujours au service de l'empire). En arrivant en Espagne, Charles Quint ne connaissait ni le caractère ni la langue de ses sujets et dut les apprendre. On raconte qu'il disait que pour parler aux dames il préférait l'italien, pour traiter avec les hommes, le français, mais qu'il ne s'adressait à Dieu qu'en espagnol.
Dans le courant du XVIᵉ siècle et la première moitié du XVIIᵉ on fixe la langue écrite et l'espagnol est parlé en dehors de l'Espagne. En Italie, en France et dans les Flandres, on publiait en espagnol, on apprenait et on parlait l'espagnol. C'est de cette époque que date l'introduction de nombreux hispanismes dans d'autres langues, surtout en italien et en français. Certains montrent l'image que l'on avait des espagnols : sforzato, sforzo, sussiego, grandioso, disinvoltura en italien ; brave, bravoure, désinvolte, grandiose en français. Il y a aussi de l'ironie derrière les hispanismes fanfarone en italien et fanfaron, matamore ou hâbler (se vanter) en français.

2. La langue espagnole à l'heure actuelle

L'espagnol au XXIᵉ siècle est la deuxième langue maternelle la plus parlée au monde après le mandarin. Elle est parlée dans 23 pays par plus de 477 millions de personnes. Si l'on additionne ceux qui l'emploient comme langue étrangère ou qui sont en train de l'apprendre, on dépasse les 572 millions (7,8% de la population mondiale). Plus de 21 millions d'élèves étudient l'espagnol comme langue étrangère, ce qui fait d'elle la deuxième langue la plus étudiée avec le mandarin et le français et seulement après l'anglais (El español : Una lengua viva. Rapport 2017. Institut Cervantès)
Avec autant d'utilisateurs sur un territoire si vaste on peut facilement imaginer la grande diversité qui caractérise la langue espagnole et se demander si elle ne risque pas d'évoluer vers différents dialectes comme le latin à l'époque médiévale. En Espagne, elle coexiste avec d'autres langues officielles en Galice (le galicien), au Pays Basque (le basque) et en Catalogne (le catalan). Il y a aussi des dialectes du castillan en Andalousie, dans la région de Murcie, en Extremadure et dans les Îles Canaries. Mais s'il y a des différences entre l'espagnol parlé par un galicien, un catalan ou un andalou, il y a quand même une grande unité qui est entretenue par le système scolaire, la littérature et les média (presse, radio et télévision).

Si l'on veut parler maintenant des différences qu'il y a entre l'espagnol normatif d'Espagne et celui des Amériques il faut tenir compte du dialecte andalou. En effet, ce sont les Andalous qui peuplèrent le Nouveau Monde après l'arrivée de Christophe Colon. Deux tiers des femmes qui s'y établirent entre 1509 et 1518, par exemple, étaient nées à Séville.
La plupart des traits distinctifs de l'espagnol d'Amérique latine proviennent de l'andalou et du canarien (étape obligée dans les longs voyages d'outremer) comme le seseo, ceceo, l'emploi de ustedes au lieu de vosotros, des archaïsmes et des arabismes (alfajores, des biscuits argentins). Il y a aussi des mots comme plomero, fontanero en Espagne, qu'on retrouve en Argentine et en Andalousie, ou papa en Amérique et dans les Canaries au lieu de l'espagnol patata.

  • Emploi de « ustedes » au lieu de « vosotros »
  • Diminutifs très fréquents : ahorita, ahoritita. Le suffixe –ito/-ita avec un adverbe, gérondif et déictiques est peu habituel en Espagne
  • Archaïsmes : balde pour « cubo » (seau), cuadra pour « manzana » (pâté de maisons)
  • Indigénismes : canoa, cacique, caníbal, maíz … et influence des langues amérindiennes locales.
  • Néologismes : acariñar por dar cariño (dorlotter)
  • Influence de la langue anglaise : guachimán au lieu de vigilante (surveillant), chequear pour comprobar (vérifier), computadora au lieu de ordenador (ordinateur), celular prononcé /selular / au lieu de móvil (GSM)…

Quelques différences régionales :

  • Argent: dinero (Espagne) ; plata (Presque toute l'Amérique) ; guita (Argentine)
  • Autobus: autobús (Espagne) ; camión (Mexico) ; colectivo (Argentina, Venezuela, Paraguay) ; guagua (Cuba, Republique Dominicaine, Porto Rico) ; omnibus (Bolivia, Uruguay) ; bus (Colombie)
  • Gamin : niño, chaval (Espagne) ; escuincle, chavo, chamaco (Mexico) ; patojo (Guatemala) ; cipote (El Salvador, Honduras) ; chamo (Venezuela) ; pelado (Colombie) ; gurí (Uruguay) ; pibe (Argentine).[2]

Les Académies de la langue espagnole (au nombre de 23) ont élaboré des ouvrages destinés à garder l'unité de la langue dans sa diversité : Le Diccionario panhispánico de dudas (2005) et la Nueva gramática de la lengua española (2009). Dans ces ouvrages on considère que les divergences régionales sont légitimes à la condition de ne pas menacer l'unité de la langue. On ne déconseille que les dialectalismes source de malentendus et qui peuvent avoir dans une certaine région une signification différente, voire contraire, à celle de l'espagnol standard. Il manque encore un ouvrage encyclopédique sur le lexique, une sorte de « dictionnaire de l'espagnol universel » pour affronter les défis d'une langue qui rassemble des millions de locuteurs dans toute leur diversité. Sur ce sujet, nous recommandons la lecture de l'article d'Alex Grijelmo et l'audition de la chanson « ¡Qué difícil es hablar el español ! » des frères colombiens Ospina[3].

 


[1] http://sabinezlatin.colleges.ain.fr/le-college/activites/espanol/el-espanol-en-el-mundo-2395.htm

[2] Image : www.mondelangues.fr/

[3] Voir références bibliographiques à la fin du dossier.

revue roma blanc 120 Cette page a été rédigée pour ROMA·NET par Maria Dolores Estalote et Céline Romero.
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