L'expression de la vitesse en roumain

Une série de synonymes pour le mot viteză ‘vitesse’ peut vite s’élargir des synonymes proches, immédiats comme : iuțeală, rapiditate, repeziciune, celeritate, velocitate pour arriver vers la zone abstraite où les synonymes incluent un trait sémantique d’évaluation de type plutôt positif – promptitudine, expeditivitate –ou plutôt négatif – grabă, zor ‘se presser’.
L’étendue synonymique s’enrichit encore plus si la zone concrète s’ajoute à la zone abstraite avec les formes de vitesse telles que : goană ‘course’,  zbor ‘vol’[1].
La série principale des synonymes est très riche, car le roumain est une langue dérivative riche en soi et, en plus, elle a pour source plusieurs langues, le latin, les langues romanes, mais aussi les langues slaves : iuțeală (<  iuți + suf. -eală. < iute < sl. ljutu), rapiditate (< fr. rapidité, lat. rapiditas, -atis), repeziciune (< repede + suf. –iciune <  lat. rapidus, rapide), celeritate (<  fr célérité, lat celeritas, -atis), velocitate ( fr. vélocité, it. velocità)…

Dans les contes de fées roumains le Prince Charmant (Făt-Frumos) a souvent un cheval qui se déplace à la vitesse ‘du vent’ et ‘de la pensée’. Il s’agit alors du vol.

Calul duce călare pe voinic, iute ca vântul şi ca gândul.[2]
‘Le cheval porte le brave homme vite comme le vent et comme la pensée.’

Pour les Roumains la vitesse du vent est très grande, mais la vitesse de la pensée est encore plus grande[3].

Făt-Frumos ascultă povaţa calului, carele deschise toate aripile şi începu să zboare mai iute decât vântul și mai încet decât gândul...[4]
‘Le Prince Charmant écoute le conseil du cheval qui ouvrit toutes les ailes et commença le vol plus vite que le vent et plus doucement que la pensée.’

Alors le Prince Charment doit choisir la bonne vitesse de son cheval, sinon il peut se retrouver en difficulté, car les forces du mal peuvent attendre elles aussi la vitesse de la pensée :

Calul zbura ca vântul, dar zmeoaica venea după dânșii ca gândul.
‘Le cheval volait comme le vent, mais le dragon-femme les suivait comme la pensée.’
(Făt-Frumos cu carâta de sticlă)[5]

La vitesse du vent est de la pansée peut-être dépasser par la vitesse des sentiments :

Nu ca vântul, nu ca gândul, nu ca dorul, nu ca blestemul, ci mai repede, cum trece fericirea s-a fost lăsat Petru pe cale...[6]
‘Pas comme le vent, pas comme la pensée, pas comme le manque, pas comme la malédiction, mais encore plus vite, comme le passage du bonheur Petru se met en route…’

Dans la mentalité populaire roumaine, la vitesse physique (le vent) est dépassée par la vitesse de l’esprit, de l’intelligence (la pensée), mais elle reste inférieure à la vitesse des sentiments (le bonheur).


[1]https://www.sin0nime.com/dex/index.php?cheie=Vitez%C4%83%2C&m=0

[2]Calul ăsta, frăţiorule, ţi-o fi de mare folos; el ţi-o împlini voile, el te-o povăţui ce să faci, şi tot el te-o duce ca gândul în voia dorului. Ţine şi frâul ... Calul duce călare pe voinic, iute ca vântul şi ca gândul. ..” *** Din vieața poporului român, Edițiile 16-17, Academia Română, p. 16.

[3]„Ţăranul crede că epeziciunea vântului este foarte mare, dar că cea mai mare epeziciune este aceea cu care gândul străbate spațiurile.” (*** (1924) Discursuri de Recepțiune, Vol. 58-74, Academia Română, p. 15.)

[4]Făt-Frumos ascultă povaţa calului, carele deschise toate aripile şi începu să zboare mai iute decât vântul și mai încet decât gândul, dar flacăra din ce în ce se mărea şi începu să arză pe Făt-Frumos în spate.” (Filimon, Nicolae, Opere: Ciocoii vechi şi noi. Nuvele. Basme. Escursiuni în Germania. Meridională. Publicistică, București, Editura Fundației Naționale pentru Știință și Artă, 2005.)

[5]Ispirescu, Petre, Legendele sau basmele românilor, București, Editura Litera, 2010.

[6]***, Făt-Frumos din lacrimă și alte basme culte și populare scrise sau culese de Eminescu, Slavici, Delavrancea, Caragiale, Nicolae Filimon, Zâna Zorilor, p. 46.

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L'expression de l'hypothèse en roumain

Pour formuler une hypothèse, la langue roumaine, de même que la langue française, utilise moyens morphologiques, syntaxiques et lexicaux.

1. Moyens d’expression morphologiques

En roumain, par ses formes modales ou temporelles, le verbe exprime l’hypothèse, la condition, la supposition. Le mode conditionnel-optatif, comme le nom l’indique est celui qui exprime la condition d’une manière directe :

Aș merge să-mi dezmorțesc picioarele în parc, dar ar trebui ca mai întâi să stea ploaia.
[J’irais bien me dégourdir les jambes dans le parc voisin, mais encore faudrait-il qu’il cesse de pleuvoir.] 
Ar fi bine să pun un pulover. La meteo s-a anunțat unval de frig.
[Je ferais bien de mettre un pull, Monsieur Météo a annoncé une vague de froid.]

Le conditionnel peut être remplacé par le subjonctif pour exprimer une hypothèse irréelle, dans une construction du type (v. aussi la syntaxe ci-dessous) :

Dacă aş fi bogat, mi-aş cumpăra o vilă la munte . = Să fiu bogat, mi-aş cumpăra o vilă la munte
[Si je serais /traduction grammaticale/ riche, j’achèterais un villa à la montagne]

L’indicatif peut exprimer une hypothèse en utilisant le temps futur : 

Vei lua umbrela, se anunță averse importante.
[Tu prendras ton parapluie, on annonce de violentes averses.]

Si par l’utilisation du conditionnel et du futur de l’indicatif, le roumain ressemble au français, il s’en différencie par l’utilisation d’un mode particulier, le présomptif, pour exprimer une incertitude, une présupposition, une hypothèse :

O ajunge el acolo la timp. 
[Il arriverait la-bàs à temps.]
La ora asta o fi ajuns la școală. 
[À cette heure-là il serait arrivé à l’école.]

Le présomptif est souvent employé sous la forme interrogative :

Unde o fi mama? 
[Où serait-elle maman ?]
→ ‘Je ne sais pas où est maman’ 
O fi ajuns acasă?
[Est-ce qu’elle serait arrivée à la maison ?]

2. Moyens d’expression syntaxiques

Au niveau de la phrase, la subordination conditionnelle est assurée par la conjonction spécifique dacă [si] ; dans un registre familier la conjonction dacă peut être remplacée par de : 

Dacă/de nu-ți pui fularul, o să răcești.
[Si tu ne mets pas ton écharpe, tu vas prendre froid.]
Dacă/de ți-ai fixa mai bine casca pe cap, nu s-ar mișca la cea mai mică adiere de vânt.
[Si tu t’enfonçais mieux la casquette sur la tête, elle ne serait pas balayée par le moindre coup de vent.]

Si en français il y a à faire une concordance spécifique entre les modes et les temps des verbes reliés par si, avec l’interdiction d’utiliser le futur ou le conditionnel après cette conjonction, en roumain cette restriction ne s’impose pas :

Dacă va veni furtuna, va trebui să renunți la plimbarea la țară. 
[Si l’orage éclate, tu devras renoncer à tes projets de balade dans la campagne.]
Dacă vremea ar fi mai blândă, aș putea să fac un grătar în grădină.
[Si la météo était plus clémente, je pourrais envisager de faire griller des saucisses dans le jardin.]

Ainsi, les choix des modes et des temps restent multiples. Si l’on prend l’exemple du passé, on a :

Dacă ştiam că vii, te aşteptam la aeroport. (dacă + Imparfait, Imparfait)
Dacă aş fi ştiut..., te-aş fi aşteptat) (dacă + Cond.pf., Cond. pf.) 
Dacă ştiam că vii, te-aş fi aşteptat... (dacă + Imparfait, Cond.pf.) 
Dacă aş fi ştiut că vii, te aşteptam... (dacă + Cond. pf., Imparfait)
Să fi știut..., veneam... (conjonctif + Imparfait)
[Si j’avais su que tu venais, je t’aurais attendu à l’aéroport]

Comme en français, en roumain, l’interrogative totale peut être interprétée comme une hypothèse, en fonction du contexte :

Furtuna sosește aici mai repede decât am fi crezut. Ce facem? Continuăm drumul?
[L’orage arrive sur nous plus tôt que prévu, qu’est-ce qu’on fait ? on maintient la promenade ?
→ ‘en admettant que l’orage arrive sur nous plus tôt que prévu…’]
Nu mai am cremă de soare. Ce mă fac? 
[Je n’ai plus de crème solaire, qu’est-ce que je fais ?
→ ‘en supposant que je n’aie plus de crème solaire’]

En plus par rapport au français, le roumain dispose des formants adverbiaux interrogatifs pour introduire la nuance dubitative :

Oare / nu cumva | a întârziat ? 
→ ‘je fais l’hypothèse qu’il est en retard’
[Est-ce qu’il ne serait pas en retard ?]
A întârziat cumva ?
→ ‘il se peut qu’il soit en retard’
[Serait-il peut-être en retard ?]

Les tournures syntaxiques pour exprimer une condition peuvent faire appel à un gérondif :

Luând tramvaiul, vom ajunge la timp.
→ ‘si l’on prend le traim, on arrivera à temps’
[Tout en prenant le tram, on va arriver à temps.]

3. Moyens d’expression lexicaux

L’hypothèse ou la condition peuvent être véhiculées par les formants des locutions prépositionnelles (în cazul [au cas]/ cu condiţia [à condition] / în ipoteza [avec l’hypothèse]) ou conjonctionnelles (cu condiţia (ca) să [à condition que], în caz(ul) că [au cas où], în ipoteza că [avec l’hypothèse que]) : 

Am luat cremă solară în cazul în care apare soarele.
[J’ai pris de la crème solaire dans le cas où le soleil ferait son apparition.]
Presupunând că previziunile meteo sunt fiabile, ar trebui să putem profita din plin de grădină duminică.
[À supposer que les prévisions météos soient fiables, on devrait pouvoir profiter pleinement du jardin ce dimanche.]
Cu condiția să ne acoperim bine, putem planifica o plimbare prin pădure în dimineața aceasta.
[À condition que de bien se couvrir, on peut envisager une promenade dans la forêt ce matin.]
În ipoteza plecării, stă cu valiza gata.
[Dans l’hypothèse du départ, il garde la valise prête.]

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L'expression du rêve en roumain

Si nous partons pour le champ lexical élargi du verbe a visa [rêver], alors on retombe toute de suite sur coșmar, reverie, viziune ou encore l’expression castele în Spania qui nous renvoie automatiquement – même pas besoin de traduction – à la langue française. 

Si l’on revient au verbe de base, il est dérivé du substantif vis dont l’étymologie renvoie au lat. visum, I, n attesté au Ier siècle avant J. C. chez Cicero (Cicéron) et qui signifie ‘vision; perception imaginaire’. Le substantif vis rentre dans des mots composés (carte de vise = livre qui comprend la signification prophétique des rêves), des locutions ((loc.adj.) de vis = spécifique au rêve; (fig.) très beau, incroyable, irréel ; (loc.adv.) ca prin vis = vaguement, confusément) ou des expressions (a-și vedea visul cu ochii = réaliser son désir le plus ardent, réaliser tout ce que l’on s’est proposé de réaliser ; nici prin vis = on dit pour nier complètement le fait d’avoir pensé ou fait quelque chose ; Vise plăcute = formule utilisée le soir avant de dormir).

Pour le verbe a visa les expressions idiomatiques sont complétées par des parémiologiques : 

Unde te visezi? = où crois-tu que tu es ?; 
Când nici nu visezi sau când cu gândul nu visezi = d’une manière inattendue ; 
a visa cai (verzi) pe pereți [revêr les cheveux verts sur les mûrs] ; 
a visa deștept = avoir des hallucinations ; 
Vrabia mălai visează = chacun pense à ce qu’on aime le plus. 

Un quatrain intégre ce dernier proverbe : 

Rosturi noi se întrupează,/ Moşule Adame:/ Vrabia mălai visează,/ Corbu, epigrame .

Pour Mihai Eminescu, le poète national de la Roumanie, la vie est le rêve de la mort :

Când știi ca visu-acesta cu moarte se sfârșește,
Că-n urmă-ți rămân toate astfel cum sunt, de dregi
Oricât ai drege-n lume -- atunci te obosește
Eterna alergare... ș-un gând te-ademenește:
«Că vis al morții-eterne e viața lumii-ntregi» (Împărat și proletar)

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L'expression de l'aspect en roumain

L’aspect est une catégorie spécifique du verbe qui décrit l’intervalle du processus qui est présenté par le groupe verbal.
Les distinctions aspectuelles s’organisent en fonction des traits sémantiques du groupe verbal dont la classification apparait dans la Gramatica Limbii Romîne : /délimité/, /duratif/, /déterminé/, /comptable/, /changement/, /divisible/.

Le trait /délimité/ décrit l’intervalle du processus en impliquant l’opposition perfectif  vs non perfectif, respectivement :

  • un processus achevé

El a traversat pe culoarea verde a semaforului
‘Il a traversé au feu vert’

  • un processus en cours de déroulement

El traversează pe culoarea verde a semaforului
‘Il traverse au feu vert’

Le trai/duratif/ impose le départ entre :

  • le duratif  :

Polițistul dirijează circulația în intersecție
‘Le policier dirige la circulation au carrefour’

et le ponctuel :

Mașina iese din garaj
‘La voiture sort du garage’

Le trait /déterminé/ implique l’opposition aspectuelle :

  • déterminé/ individuel

Conduc o mașină roșie

‘Je conduis une voiture rouge’

  • générique

El conduce toate mașinile firmei
‘Il conduit toutes les voitures de l’entreprise’

Le trait /comptable/ nous permet de distinguer :

  •  l’aspect unique

Iarna trecută a plătit o amendă
‘L’hiver passé il a payé une amende’

  •  de l’aspect itératif , qui peut être
    • répétitif

Iarna trecută a plătit o amendă
‘L’hiver passé il a payé une amende’

    • ou fréquentatif

Pentru că ruleză cu viteză mare plătește amenzi de mai multe ori pe an
‘Parce qu’il ne respecte pas les limites de vitesse, il paye une amende plusieurs fois par an’

Le trait /changement/ caractérise les verbes d’événement et les verbes d’action. La distinction aspectuel se fait entre :

  • le  linéaire (le changement est constant) :

Mărește viteza
‘Il roule plus vite’

  • et le progressif (le changement est graduel) :

Mărește viteza din ce în ce mai mult
‘Il roule de plus en plus vite’

Le trait sémantique /divisible/ découpe le processus en plusieurs étapes et il distingue les valeurs aspectuelles suivantes :

  • Inchoatif

Ceața începe să apaă
‘Le brouillard commence à se former’

  • Continuatif

Ceața continuă să reducă vizibilitatea
‘Le brouillard continue à diminuer la visibilité’

  • et  terminatif

Ceața a încetat să împiedice decolarea
‘Le brouillard n’empêche plus le décollage’

Pour le roumain la seule opposition aspectuelle marquée par des moyens grammaticaux est l’opposition perfectif vs non perfectif.
Les autres oppositions se réalisent par des moyens lexicaux.

Les verbes aspectuels sont les verbes pour lesquels la configuration sémantique incluse un des trais inchoatif, continuatif ou terminatif.
Le roumain a une série riche de verbes aspectuels proprement-dits : a începe, a continua, a conteni, a isprăvi, a înceta, a sfărși, a termina.
Cette série est enrichie par plusieurs verbes qui, dans certaines circonstance, deviennent des verbes aspectuels. Nous en donnons quelques exemples :

  • a se pune pe :

Ea se pune pe învățat pentru a obține permisul de conducere
‘Elle commence à étudier pour obtenir le permis de conduire’ (aspectuel)

Ea se pune bine cu toaă lumea
‘Elle est populaire’ (non aspectuel)

  • a prinde a :

Prinde a zice că circulația la București e infernală 
‘Elle commence à parler du trafic infernal de Bucarest’ (aspectuel)

Prinde de mână
Elle saisit sa main (non aspectuel)

  • a urma :

Am aceeași părere despre consumul de alcool la volan – urmă ea
‘J’ai la même opinion concernant la consommation d’alcool au volant’ – enchaina-t-elle (aspectuel)

Acum urmezi tu la bicicletă
‘Maintenant c’est à ton tour sur le vélo’ (non aspectuel)

  • a se orpi din :

El se oprește din traversat chiar în mijlocul străzii
‘Il arrête de traverser juste au milieu de la rue‘ (aspectuel)

Taxiul se oprește
Le taxi arrête (non aspectuel)

  • a ajunge la :

El a ajuns să vadă altfel lucurrile după accidental suferit pe autostradă I
‘Il arrive à voir autrement les choses après avoir subi un accident sur l’autoroute’ (aspectuel)

Ajunge la școlaă cu autobuzul
‘Il arrive à l’école en bus’ (non aspectuel)

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Dire tout et le contraire de tout en roumain

1. Je n'aime pas les épinards

Que dit-on quand on dit « je n'aime pas les épinards » ?
Comment traduit-on cette phrase en roumain ?

Nu-mi place spanacul !

Si nous comparons la phrase roumaine terme à terme avec la phrase française correspondante, nous observons que seule la négation revient à une traduction littérale, sans réinterprétation. Pour le reste de la phrase, afin de garder la sémantique de la phrase, on doit opérer plusieurs changements grammaticaux, morphologiques et syntaxiques.
Tout d'abord, le pluriel français les épinards devient le singulier roumain spanacul. Ensuite, le verbe français aimer a pour équivalent dans cette phrase le roumain a plăcea [fr. plaire] au lieu de son correspondant lexical direct en roumain a iubi. Le verbe roumain a plăcea impose une réorganisation syntaxique et sémantico-logique de la phrase : le sujet grammatical du français Je devient le sujet logique du roumain (î)mi, ayant du point de vue grammatical le rôle d'objet indirect que le français me. Le sujet grammatical de la phrase est en roumain spanacul, en position postverbale. Sur ce plan, le roumain se comporte comme l'espagnol, l'italien et le portugais : c'est le français qui se démarque des autres langues romanes.
Même si la négation de la phrase ne comporte pas de réinterprétation dans la traduction, une autre différence apparait entre le français et le roumain, car la négation verbale, est, dans le cas du roumain représentée par un seul mot, l'adverbe négatif nu. L'élision de la voyelle initiale î du pronom personnel de datif est facultative, on a le choix entre une forme plus courte r nu-mi place ou plus longue nu îmi place.
Comparons les deux langues sur le plan de l'interprétation de la phrase :

Nu-mi place spanacul !

Comme pour le français, pour le roumain, la première lecture de cette phrase, une lecture grammaticale littérale, nous conduit à nier le sens du verbe a plăcea et d'obtenir ainsi son antonyme rou. a detesta :

Je n'aime pas les épinards = 'je déteste les épinards'
ro. Nu-mi place spanacul = 'detest spanacul'

Comme pour le français, pour le roumain, la lecture grammaticale peut être complétée par une lecture pragmatique, une lecture qui envisage une négation d'intensité, qui change la position occupée par l'action du verbe sur une échelle qui comprend pas du tout, un peu, normalement, beaucoup : je n'aime pas un peu les épinards, je les aime beaucoup, je les adore.

Je n'aime pas les épinards = 'j'adore les épinards'
ro. Nu-mi place spanacul, ci îl ador!

Comme le français toujours, le roumain se prête aussi à une lecture situationnelle de la négation, tout en orientant la négation de la phrase vers une négation du sujet spanacul ou de l'objet indirect îmi.

Je n'aime pas les épinards = 'les épinards ne font pas partie des choses que j'aime'
ro. Nu-mi place spanacul. Prefer salata.
Je n'aime pas les épinards = 'ce n'est pas moi qui aime les épinards'
ro. Mie nu-mi place spanacul, ci soțului meu.

Nous pouvons aussi élargir les situations de communication et nier les circonstances : l'endroit, le lieu :

ro. Azi nu-mi place spanacul. = 'je n'aime les épinards aujourd'hui'
ro. Nu-mi place spanacul în Spania. = 'je n'aime les épinards en Espgne'

Sortie du contexte, notre phrase reste ouverte à toutes ces interprétations. Si le cotexte est élargi ou le contexte, la situation de communication est précisée, alors l'ambiguïté est éliminée, la phase est orientée vers une interprétation ou une autre :

Nu-mi place deloc spanacul = 'je n'aime pas du tout les épinards'
– Îți place spanacul sau salata ?
– Nu-mi place spanacul. Prefer salata. / Nu-mi place nici spanacul, nici salata.
– Ție îți place spanacul?
– Mie nu-mi place spanacul, ci soțului meu./ Nu mie, ci soțului meu.

2. Tu aimes les épinards ?

L'adverbe négatif roumain nu a à la fois le rôle de négation du verbe ne…pas en français et du substitut de la phrase négative non.
Après avoir fait la lecture multiple d'une phrase négative, nous allons regarder l'emploi du roumain nu dans le cas d'une interaction verbale, d'un échange question-réponse.
Comme pour le français, en roumain, si la question est affirmative, le contenu négatif de l'adverbe est une 'contestation' de la question tandis que la réponse affirmative est une confirmation du contenu propositionnel de la question :

– Tu aimes les épinards ? – Oui = 'oui, je les aime'
ro. Îți place spanacul? – Da = 'îmi place spanacul'
– Tu aimes les épinards ? – Non = 'non, je ne les aime pas'
ro. Îți place spanacul? – Nu = 'nu îmi place spanacul'

Da équivaut à une formulation affirmative de la réponse, nu équivaut à une formulation négative de la réponse.
Si la question est négative, le contenu négatif de l'adverbe est une confirmation de la question tandis que la réponse affirmative est ambigüe permettant aussi bien une lecture en tant que confirmation ou en tant que contestation du contenu de la question. Pour résoudre cette ambigüité, le roumain comme le français, introduit un autre adverbe pour la réponse affirmative à une question négative ba da :

– Vous n'aimez pas les épinards ? – Non = 'je ne les aime pas'
ro. Nu vă place spanacul? – Nu = 'nu îmi place spanacul'
– Vous n'aimez pas les épinards ? – Si = 'je les aime'
ro. Nu vă place spanacul? – Ba da = 'îmi place spanacul'

En revanche, l'usage de da serait ambigu, car dans ce contexte, da peut être interprété comme une confirmation de la négation contenue dans la question aussi bien que comme une contestation de cette négation :

– Vous n'aimez pas les épinards ? – Oui = 'je ne les aime pas / je les aime'
ro. Nu vă place spanacul? – Da = 'nu îmi place spanacul / îmi place spanacul'

De sorte qu'en français, on évitera de répondre à une question contenant une négation en disant oui.

En résumé :

Question sans négation

Da = 'je confirme'

Nu = 'je conteste'

Question contenant une négation

Ba da = 'je conteste'

Nu = 'je confirme'

Il faut noter que le roumain ba tout seul est utilisé dans certains contextes comme synonyme de nu. Les expressions rou. ba da, ba nu reviennent au fr. mais si, mais non.

3. Et toi, tu aimes les épinards ?

Après avoir comparé la réponse négative ou affirmative à l'aide de nu et da, à une question affirmative ou négative, voyons la négation ou l'affirmation du sujet logique dans le même contexte.
Le roumain se comporte une fois encore comme le français

– Tu aimes les épinards ? – Moi, oui = 'oui, je les aime
– Tu aimes les épinards ? – Moi, non = 'non, je ne les aime pas'
ro. Îți place spanacul? – Mie, nu = 'nu îmi place spanacul'
– Tu n'aimes pas les épinards ? – Moi, non = 'je ne les aime pas'
ro. Nu îți place spanacul? – Mie, nu = 'nu îmi place spanacul'
– Tu n'aimes pas les épinards ? – Moi, si = 'je les aime'
ro. Nu îți place spanacul? – Mie, ba da[1] = 'îmi place spanacul'

Le sujet prend alors le plus souvent la forme d'un pronom personnel, nécessairement tonique, alors que dans une phrase canonique, il a une forme atone :

Je + oui → Moi oui.
îmi + da → Mie da.
Je + non → Moi non.
îmi + nu → Mie nu.

Le roumain, comme le français, utilise les formes toniques du pronom personnel en proximité de l'adverbe de négation ou d'affirmation, rou. nu et rou da.

– Vous aimez les épinards ? – Moi oui. – Moi non.
ro. Vă place spanacul? – Mie, nu – Mie da.
– Vous n'aimez pas les épinards ? – Moi si. – Moi non.
ro. Vă place spanacul? – Mie, nu – Mie da.

Dans les échanges de ce type, lorsqu'une personne donne à entendre qu'elle est du même avis que celle qui vient de prendre la parole, elle substitue aussi à oui ou non plus au simple non :

­– Vous aimez les épinards ? – Moi oui. – Moi aussi.
ro. Vă place spanacul? – Mie, da – Și mie.
– Vous aimez les épinards ? – Moi non. – Moi non plus.
ro. Vă place spanacul? – Mie, nu – Nici mie.
– Vous n'aimez pas les épinards ? – Moi si. – Moi aussi.
ro. Nu vă place spanacul? – Mie, ba da[2] – Și mie.
– Vous n'aimez pas les épinards ? – Moi non. – Moi pas.
ro. Nu vă place spanacul? – Mie, nu – Nici mie.

Dans une situation de consultation, à partir du deuxième locuteur, les réponses s'effectuent pour l'affirmation avec l'adverbe cumulatif și et pour la négation avec l'adverbe négatif de répétition nici, sans reprendre da et respectivement nu.


[1] Notons une acceptabilité douteuse de cette formule.

[2] Notons une acceptabilité douteuse de cette formule.

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