L'expression de l'hypothèse en portugais

La langue portugaise offre plusieurs possibilités pour la formulation de l’hypothèse. Comme la langue française, le portugais dispose de solutions d’ordre morphologique, dans le choix des modes et temps verbaux, syntaxique, faisant surtout appel aux constructions subordonnées conditionnelles, et lexical, avec un large choix d’adverbes et locutions adverbiales à disposition du locuteur.

1. Moyens d’expression morphologiques

S’il est vrai que le mode subjonctif est le plus apte à exprimer un souhait, un doute ou une action hypothétique, en portugais certains temps de l’indicatif et du conditionnel sont aussi à disposition du sujet parlant pour exprimer ses rêves ou ses incertitudes.

Le conditionnel présent est particulièrement apte à exprimer l’hypothèse, sans qu’il y ait nécessairement une relation de subordination entre les propositions énoncées. Il peut être utilisé pour parler d’actions dont la réalisation est liée à une condition :

Seria risonho o futuro, mas os governos tardam a adoptar medidas ambientais adequadas.

aussi bien que pour exprimer des désirs :

Daria tudo para falar português como um nativo.

Et si le conditionnel présent envisage le futur, le conditionnel passé se rapporte, lui, au passé, exprimant des hypothèses ou l’incertitude par rapport à des actions antérieures au moment du discours :

Teria sido um sonho ser selecionado para o programa de estágios.

Du fait qu’il permet d’exprimer l’hypothèse au passé, le conditionnel passé est assez utilisé dans des structures typiques du langage journalistique, lorsqu’on relate un fait dont la véracité n’est pas certaine :

Três dias antes do protesto, os estudantes teriam alertado a universidade da sua intenção de manifestar.

L’utilisation du conditionnel présent pour exprimer des désirs et la condition coexiste avec une alternative jadis réservée plutôt à l’oralité, mais qui gagne de plus en plus de place dans la langue, orale comme écrite, l’imparfait de l’indicatif :

O João queria participar na manifestação, mas tinha exame. 

Encore dans le mode indicatif, le temps futur permet aussi d’exprimer des conjectures :

O futuro será melhor para as próximas gerações. 

Mais c’est dans des phrases interrogatives que sa capacité à exprimer le doute ou l’incertitude est renforcée :

As propostas estão preparadas, mas serão aprovadas?

2. Moyens d’expression syntaxiques

D’un point de vue syntaxique, nous constatons que, à l’image de ce qui se passe dans la langue française, les phrases subordonnées conditionnelles sont les plus profitables pour exprimer l’hypothèse, surtout celles introduites par se.

Le choix des modes verbaux utilisés dans ce type de phrase va permettre d’ajouter des informations à l’expression de la condition, admettant alors trois situations possibles : 

  1. des conditionnelles factuelles (ou réelles)

si x se produit, y se produira aussi

  1. des conditionnelles hypothétiques

au cas où x se produise, y se produira aussi

  1. des conditionnelles contrefactuelles (ou irréelles) 

si x ne s’est pas produit, y ne s’est pas produit non plus

Dans les phrases conditionnelles factuelles nous trouvons trois schémas possibles, la subordonnée introduite par se a toujours le verbe au présent de l’indicatif, mais la proposition principale peut se construire avec le présent de l’indicatif (1) comme avec le futur de l’indicatif (2), de nous jours un peu hors d’usage, ou avec l’impératif (3)

(1) Se organizamos uma manifestação, tu vens. 
(2) Se organizamos uma manifestação, tu virás. 
(3) Se organizamos uma manifestação, vem. 

Dans le cas où nous voulons exprimer une hypothèse factuelle au passé, nous utilisons le passé simple (4)

(4) Se foste à manifestação, pudeste fazer ouvir a tua voz.

Dans les conditionnelles hypothétiques nous pouvons distinguer celles qui présentent une hypothèse improbable ou irréalisable de celles qui annoncent une hypothèse plutôt réalisable.

Les premières, celles qui expriment une hypothèse improbable ou irréalisable, se forment avec le verbe de la subordonnée à l’imparfait du subjonctif et le verbe de la proposition principale dans le conditionnel présent (5a) où à l’imparfait de l’indicatif (5b) :

(5a) Se organizássemos uma manifestação, virias.
(5b) Se organizássemos uma manifestação, vinhas.

L’hypothèse improbable peut aussi se rapporter au passé. Dans ce cas nous trouvons les temps composés (même si le portugais permet aussi qu’une des propositions garde le temps simple, du moment que le contexte puisse indiquer clairement qu’il s’agit du passé)

(5c) Se tivéssemos organizado uma manifestação, terias vindo/virias.
(5d) Se tivéssemos organizado uma manifestação, tinhas vindo/vinhas.

Pour exprimer des hypothèses probables ou réalisables nous utilisons, dans la subordonnée, un temps verbal qui s’est perdu dans les autres langues romanes, le futur du subjonctif . Le verbe de la proposition principale sera au présent (6a) ou au futur de l’indicatif (6b) ou encore à l’impératif (6c)

(6a) Se organizares uma manifestação, manifesto contigo.
(6b) Se organizares uma manifestação, manifestarei contigo.
(6c) Se organizar uma manifestação, manifesta comigo.

Finalement, les conditionnelles contrefactuelles peuvent représenter une situation passée (7a, 7b et 7c), et alors c’est connu que le fait énoncé ne s’est pas produit, ou une situation qui nous reconnaissons comme impossible (7c), compte tenu des connaissances partagées du monde réel. 

(7a) Se tivesses tido coragem, terías confrontado o Ministro. 
(plus-que-parfait du subjonctif + conditionnel passé)
(7b) Se tivesses tido coragem, tinhas confrontado o Ministro. 
(plus-que-parfait du subjonctif + plus-que-parfait de l’indicatif) 
(7c) Se tivesses tido coragem, confrontavas o Ministro. 
(plus-que-parfait du subjonctif + imparfait de l’indicatif)
(7d) Se o aquecimento climático não fosse perigoso, não seria/era necessário tomar medidas . 
(plus-que-parfait du subjonctif + conditionnel présent ou imparfait de l’indicatif)

Malgré que la conjonction se soit la plus commune pour exprimer l’hypothèse, d’autres conjonctions ou locutions s’offrent comme alternative, tel que a não ser que, contanto que, sem que, desde que, a menos que. Dans tous les cas, les phrases qui commencent ainsi obligent à mettre le verbe de la subordonné au subjonctif.

(8) A menos que haja uma alteração política, não haverá progresso.

En dehors de la subordination, la coordination ou la juxtaposition de phrases offrent aussi la possibilité d’exprimer l’hypothèse.

Dans le cas de la coordination, plusieurs temps et modes verbales sont possibles, selon le degré de probabilité de la relation condition/conséquence. Mais les éléments de la phrase ne sont pas mobiles, au contraire de ce qui se passe dans les phrases subordonnées.

Ainsi nous pouvons trouver l’impératif (9a) ou le présent du subjonctif (9b) dans le premier élément coordonné et le futur ou le présent de l’indicatif dans le second élément, si la probabilité est élevée, et l’imparfait du subjonctif dans le premier élément (9c) et l’imparfait de l’indicatif ou le conditionnel présent dans le deuxième, si la probabilité est faible.

(9a) Chega atrasado à manifestação e não nos encontramos/encontraremos.
(9b) Que chegues atrasado à manifestação e não nos vemos/veremos.
(9c) Chegasses atrasado e não nos víamos/não nos veríamos.

Pour ce qui est de la juxtaposition, nous pouvons avoir une phrase à l’impératif juxtaposée à une phrase déclarative, comme dans l’exemple

(10) Mudem as políticas públicas, melhoram as condições ambientais.

ainsi que des phrases telles que les conditionnels avec se, mais sans que la conjonction soit présente (dans ces cas nous trouvons une inversion dans l’ordre régulière sujet/verbe)

(11) Tivesse eu poder, mudava o mundo.

3. Moyens d’expression lexicaux

Pour finir, nous pouvons recourir à des adverbes (11a et 11b), locutions (12), verbes « créateurs de mondes » (13), pour utiliser l’expression de Ana Maria Brito (MATEUS et alii, 2004) ou des interjections (14, 15 et 16) pour exprimer l’hypothèse. La majorité entraineront en tous cas l’utilisation du subjonctif, mais d’autres non, car, nous l’avons compris, les valeurs de possibilité ou probabilité d’une phrase ne se construisent pas par le verbe tout seul, sinon par l’interaction de plusieurs éléments dans la phrase.

(11a) Talvez a situação melhore. 
(présent du subjonctif) 
(11b) Possivelmente a situação melhora. 
(présent de l’indicatif)
(12) Se calhar a situação melhora. 
(présent de l’indicatif)
(13) Supõe que a situação melhora, é/será bom para todos 
(impératif + présent/futur de l’indicatif)
(14) Oxalá o futuro seja risonho. 
(présent du subjonctif)
(15) Tomara que possamos deixar um mundo melhor às gerações futuras. 
(présent du subjonctif) 
(16) Quem me dera que a situação melhore.
(présent du subjonctif) 

Petite curiosité, ces deux dernières phrases présentent une particularité intéressante. Les expressions tomara que et quem me dera que présentent des verbes au plus-que-parfait simple de l’indicatif. Or, en portugais il y a une forme simple et une forme composée de ce temps verbal et elles sont équivalentes, sauf dans les contextes d’utilisation, avec la forme simple plutôt réservée pour un registre soigné. Ici nous avons en fait des constructions figées et d’un registre plutôt informel, nous sommes donc devant une exception à cette règle générale.

revue roma blanc 120 Cette page a été rédigée pour ROMA·NET par Ana Corga Vieira.
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