L'utopie dans la littérature française

L'Autre Monde (Cyrano de Bergerac)

Cyrano de Bergerac, écrivain et scientifique libertin du XVIIe siècle, nous livre avec L’Autre Monde ou Histoire comique des États et Empires du Soleil le premier roman de science-fiction de la littérature française, sous la forme du récit burlesque de son voyage sur la Lune et sur le Soleil. En réalité, Cyrano trace ici, à travers la satire de la société de son temps, les contours d’une société idéale, utopique. 

Les premières pages, que nous reproduisons dans leur orthographe d’époque, sont consacrées à l’ingénieux dispositif qui l’envoya dans le ciel.

A ces boutades, qu’on nommera peut-estre des accés de fievre chaude, succeda l’esperance de faire reüssir un si beau voyage : de sorte que je m’enfermay, pour en venir à bout, dans une maison de campagne assez écartée, où apres avoir flatté mes resveries de quelques moyens proportionnez à mon sujet, voicy comme je donnay au Ciel.

J’avois attaché tout autour de moy quantité de fiolles pleines de rosée, sur lesquelles le Soleil dardoit ses rayons si violemment, que la chaleur qui les attiroit, comme elle fait les plus grosses nuées, m’éleva si haut, qu’enfin je me trouvay au dessus de la moyenne region. Mais comme cette attraction me faisoit monter avec trop de rapidité, qu’a lieu de m’approcher de la Lune comme je pretendois, elle me paroissoit plus éloignée qu’à mon partement, je cassay plusieurs de mes fioles, jusques à ce que je sentis que ma pesanteur surmoint l’attraction, et que je redescendois vers la terre. Mon opinion ne fut point fausse : car j’y retombay quelque temps apres ; et à compter de l’heure que j’en estois party, il devoit estre minuit. Cependant je reconnus que le Soleil estoit alors au plus haut de l’horizon, et qu’il estoit là midy. Je vous laisser à penser combien je fus estonné : certes je le fus de si bonne sorte, que ne sçachant à quoy attribuer ce miracle, j’eus l’insolence de m’imaginer qu’en faveur de ma hardiesse, Dieu avoit encore une fois recloüé le Soleil aux Cieux, afin d’éclairer une si genereuse entreprise. Ce qui accrut mon estonnement, ce fut de ne point connoistre le pays où j’esois, veu qu’il me sembloit qu’estant monté droit, je devois estre descendu au mesme lieu d’où j’étois party.

Cyrano de Bergerac, Histoire comique des Estat et Empire de la Lune, pp. 4-5

revue roma blanc 120 Cette page a été rédigée pour ROMA·NET par Annick Englebert.
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