La variation géographique du français

1. Un petit jeu pour commencer

Comment dénommez-vous ces deux objets ?

   

Si on observe les cartes géolinguistiques, c'est-à-dire les cartes extraites des atlas linguistiques qui rendent compte de l'usage effectif d'une langue dans une région donnée, on constate que les manières de dénommer ces deux objets usuels sont très diversifiées, même si on cantonne l'observation à la France et à la Belgique. Le premier est dit, selon les régions, bâche, chiffon, cinse, emballage, gueille, lave-pont, loque, panosse, pattte, pelle, pièce, serpillère, toile, torchon, wassingue ; le second est dit cornet, nylon, poche, pochon, sac, sachet :

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Tous ces mots sont autant de témoignages de la variation diatopique en français.

2. Les différentes variétés de la langue française dans le monde

Durant les premiers siècles de son existence, la langue française (née officiellement en 842) connaissait des variations diatopiques d'une grande amplitude, c'est-à-dire d'importantes variations régionales : on ne parlait pas le même français à Tournai qu'à Lyon, à Arras qu'à Troyes – les différences étaient telles qu'un Champenois ne comprenait pas un Bourguignon ou un Normand, un Gascon.
Depuis la fin du XVIe siècle, sous l'action des premiers grammairiens, la langue française connait de manière continue un processus de standardisation, c'est-à-dire un processus qui vise à ramener les différentes variétés de la langue française à une norme unique en la codifiant (en l'« enfermant » dans des dictionnaires et des grammaires). Des grammairiens comme Vaugelas au XVIIe siècle (un des premiers académiciens français) ou Grevisse au XXe siècle participent de ce processus, qui a contribué à faire qu'aujourd'hui la langue française est une des langues les plus normées au monde.
Le processus de standardisation de la langue française a presque totalement abouti dans le domaine de la syntaxe : la construction de la phrase est identique en français de France, de Belgique, du Cameroun, d'Haïti ou du Québec. S'il y a des variations (par exemple dans la manière de construire le complément d'un verbe), elles n'empêchent pas l'intercompréhension entre francophones de différentes régions.
Ce processus a totalement abouti dans le domaine de l'orthographe. Ainsi, contrairement à l'anglais, par exemple, le français s'écrit de la même manière dans tous les pays où l'on écrit en français. Seuls deux domaines offrent, aujourd'hui encore, une forte résistance à la standardisation.
La prononciation, tout d'abord. Même si la radio, la télévision, le cinéma contribuent à diffuser une manière standardisée de prononcer le français, un Québécois ne prononce pas le français comme un Parisien, un Liégeois ne prononce pas le français comme un Marseillais. Les différences dans la prononciation du français sont parfois tellement accusées qu'elles empêchent l'intercompréhension entre les francophones de régions différentes. Cela se traduit par exemple par la présence de sous-titres dans certaines émissions de TV5, qui ne diffuse pourtant que des émissions en langue française (c'est en effet la chaine de télévision de promotion de la langue française dans le monde).
Le lexique, ensuite, offre une résistance à la standardisation plus forte encore. Chaque région de langue française connait ainsi un certain nombre de mots qui lui sont totalement propres ou qu'elle partage partiellement avec le reste de la francophonie, à côté des mots communs à l'ensemble des pays et régions francophones.
Pendant longtemps, on a fustigé ces mots particuliers à des régions, ces régionalismes. Ainsi, les Belges se sentaient d'autant plus coupables de leurs belgicismes que la proximité de la France leur renvoyait sans cesse l'image d'un français parisien qu'ils idéalisaient. Aujourd'hui, les Belges assument plus sereinement les particularités de leur français, le français de Belgique, et la linguistique nous apprend d'ailleurs que des expressions longtemps pointées du doigt comme belgicismes ont cours en différents lieux de la Francophonie.
Par exemple, « septante » est donné comme l'équivalent belge de « soixante-dix », qu'on utilise en France et en Afrique de l'Ouest, ou de « soixante-et-dix » qu'on utilise au Québec. Mais « septante » est utilisé également en Suisse, au Congo… et en France, comme le montre cette carte géolinguistique[3].

En revanche, « huitante » ne semble avoir cours qu'en Suisse, le reste de la francophonie disant « quatre-vingts » ; quant à « octante », qu'on prête parfois aux Suisses, il est tout bonnement légendaire !
Voici quelques autres régionalismes lexicaux bien vivaces :

bière pot-de-vin au Rwanda
blocus embouteillage en Haïti – session d'examen en Belgique
breuvage boisson au Québec
débarbouillette gant de toilette au Québec
déjeuner repas de midi en France, en Afrique de l'Ouest – repas du matin en Belgique, au Congo
diner repas du soir en France, en Afrique de l'Ouest – repas du midi en Belgique, au Congo
mélanger confondre (mélanger les salles de cours) au Sénégal
papillon contravention en France
pharmacie bistrot au Cameroun
ramassette pelle à poussière en Belgique
sapeur homme bien habillé (bien « sapé ») au Congo
sauce préparation (viande, poisson, légumes…) qui accompagne le riz, le couscous… en Afrique subsaharienne
souper repas du soir en Belgique, au Québec
sucré boisson sucrée, plus spécialement gazeuse, en Afrique subsaharienne et Afrique centrale
valve panneau d'affichage dans les écoles en Belgique, au Congo

 


[1] https://francaisdenosregions.com/2015/08/09/comment-appelez-vous-la-piece-de-tissu-que-lon-utilise-pour-nettoyer-par-terre/

[2] https://francaisdenosregions.com/2016/08/31/les-denominations-du-sachet-plastique/

[3] https://francaisdenosregions.com/2016/10/08/septante_nonante/

revue roma blanc 120 Cette page a été rédigée pour ROMA·NET par Annick Englebert.
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